Bore-out, pas de quoi en faire une maladie… (Liaisons sociales, février 2017)

Très médiatisée, la notion de “bore-out”, épuisement résultant de l’ennui au travail, est décriée par les spécialistes du travail. Pour eux, elle cache la complexité des situations de souffrance.

« Vous n’avez pas de sujets plus intéressants à traiter » ? Le mot « bore-out », qu’on peut définir par l’épuisement professionnel résultant de l’ennui au travail, fait sortir de ses gonds Marie Pezé : « Je rencontre des gens qui s’ennuient, qui font un travail répétitif, qui sont harcelés, qui sont en conflit éthique, pas des gens en « bore-out ». Ce mot rassemble un milliard de situations possibles, et il aplatit la complexité des situations liées au travail. Cela décrédibilise le burn-out, qui est étudié depuis 50 ans », fulmine la psychologue à l’origine de la première consultation « Souffrance et travail ». Jean-Luc Molins, secrétaire de l’UGICT-CGT en charge des questions de management, abonde : « C’est un écran de fumée destiné à masquer le problème de la surintensité de travail ». Son homologue de la CFDT, Hervé Garnier, n’en pense pas moins : « La différence entre le phénomène de mode et une vraie maladie est assez difficile à effectuer. En tout cas, pour l’instant, le mot n’est arrivé ni au conseil d’orientation sur les conditions de travail, ni dans les documents du Plan Santé au travail ». Ni le MEDEF, ni l’Association nationale des DRH ne semblent plus intéressés par la question.

Bulle médiatique

Comment expliquer l’emballement médiatique, au printemps dernier, pour ce nouveau concept ? Le sujet monte autour du 2 mai, lorsque Frédéric Desnard affronte Interparfum, son ex-employeur, aux prud’hommes. Il veut obtenir la nullité de son licenciement. Soutenu par son médecin traitant, l’homme affirme que la crise d’épilepsie et l’arrêt maladie auxquels il doit son renvoi sont la conséquence de l’ennui dans lequel l’a plongé son employeur. Il a médiatisé sa situation, et veut faire de ce jugement le premier « procès du bore-out en France». Les juges prudhommaux ont préféré laisser les magistrats professionnels juger d’eux-même de la pertinence de ce motif, ce dont ils devront décider courant 2017. Ce concept, Frédéric Desnard le tire de « Diagnosis bore-out », un ouvrage des consultants suisses Peter Werder et Philippe Rothlin, paru en 2007.

Le raffut autour du « bore-out », fantaisiste ou pas, a suscité nombre de témoignages de victimes de l’ennui au travail évoquant une souffrance bien réelle, qui peut mener à la dépression. Deux origines à cela : l’absence de tâches à effectuer (aussi appelée placardisation) ou la vacuité de ces tâches (nouvellement appelé brown-out). Parmi eux, Christina1. A 27 ans, elle est embauchée comme assistante de conservation dans un musée. Au début, elle découvre le métier, prend des responsabilités, jusqu’à ce qu’on lui confie une exposition. A l’issue de celle-ci, on ne lui confie plus que l’inventaire du musée, tâche rébarbative. Et pour cause : son CDD s’achève six mois plus tard. « Peu à peu je n’avais plus du tout envie d’aller au travail. Je n’arrivais même pas à me motiver pour faire mes tâches d’inventaire. Je me sentais inutile, je m’énervais pour rien, et j’avais surtout une flemme incroyable pour tout. Etre au chômage a été un grand soulagement », sourit aujourd’hui Christina, qui a retrouvé un emploi. « Il s’agit d’ennui structurel. On le retrouve lorsqu’il y a des doublons sur un poste après la fusion entre deux entreprises, ou lors de réorganisations, de manière transitoire », analyse Sabine Bataille, consultante RH et auteur d’une enquête sur le bore-out pour l’INRS.

1 Tous les noms de témoins sont modifiés

La suite de l’enquête d’Elsa Sabado à retrouver dans Liasons Sociales magazine de février 2017.

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

 

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