Calais : Sonia, d’un camp à l’autre (Causette, 2015)

En quelques semaines, Sonia est passée de Sauvons Calais, un groupe d’extrême-droite, à l’association d’aide aux migrants « Calais ouverture et humanité ». Derrière ce changement radical, la confrontation à la réalité des conditions de vie des migrants.

« J’ai été embrigadée, je me suis égarée. Et puis j’ai ouvert les yeux. » Dans la cuisine de sa maison, à Calais, Sonia, 29 ans, livre sans façons le récit de sa courte mais dense vie militante. A l’étage, Aamir, son compagnon afghan, préfère ne pas se montrer. Depuis quelques mois, la grande brune extravertie ferraille aux côtés des migrants. Une surprise, si l’on se penche sur le début de son parcours.

Fin 2013, Kevin Reche fonde « Sauvons Calais », collectif de lutte contre les migrants. Svastika tatouée sur le torse, le minet de 20 ans est depuis devenu l’égérie du Parti de France, une scission du Front national, tendance dure. L’amitié privilégiée entre Sonia et Kevin débute sur Facebook. L’embryon de leader fait l’objet d’insultes homophobes et Sonia, indignée, lui fait parvenir un message de soutien. S’engage alors une correspondance virtuelle. Derrière son écran, Sonia succombe au charme de Kevin et à ses sirènes d’extrême-droite. Entre janvier et avril 2014, le nazillon instille peu à peu en elle la crainte de l’étranger : « Avant, les migrants m’étaient invisibles. Puis j’ai commencé à les voir partout, partout menaçants. Je fermais ma porte à clé, je cachais une barre de fer sous le siège de ma voiture», se souvient-elle. Fille d’un policier et d’une assistante maternelle « qui ne m’ont jamais avoué de quel bord ils étaient parce qu’on ne parlait jamais de politique à la maison», Sonia aurait voulu, après son bac pro vente, endosser comme son père l’uniforme de la BAC. La naissance de sa fille Melissa, lorsqu’elle a 22 ans, balaye son rêve. Dès lors, l’apprentie maman enchaîne les jobs : vente à domicile, fleuriste, nettoyage. Puis décide de cesser de travailler, et de s’occuper de sa fille.

Malgré les dix années qui séparent Sonia et Kevin- qui n’a pas encore 20 ans-, ils partagent les souffrances d’une jeunesse déclassée, paumée. Quatre mois durant, Sonia seconde celui qu’on surnomme « K3 », pour Kevin, ou Ku Klux Klan. Elle l’accompagne la nuit dans ses « rondes de vigilance », arpentant les rues de Calais pour surveiller migrants et militants. Elle prend part au caillassage d’une ferme investie par les « No-Border », des activistes d’extrême-gauche, à Coulognes. S’encanaille dans les soirées de la quinzaine de militants du collectif. Pourtant, il ne cèdera jamais à ses avances. Elle interpelle aussi les pro-migrants en commentant frénétiquement la page Facebook de Calais Ouverture et Humanité, une association anti-raciste calaisienne. « Au début, Sonia était hyper remontée, se souvient Séverine Mayer, administratrice de la page. Elle nous traitait de bobo de gauche, écrivait que l’on ne comprendrait que lorsqu’on se ferait agresser par des migrants. Je lui ai proposé d’aller se faire une idée par elle-même».

Contre toute attente, l’idée fait son chemin dans la tête de Sonia, qui depuis quelque semaines, s’interroge sur le bien fondé de ses actions. En avril, elle se décide à passer pour la première fois la porte du squat Victor-Hugo, réservé aux femmes et aux enfants exilés. Devant les migrantes entassées dans des conditions sordides, elle s’effondre : « J’étais en larmes ! J’ai parlé aux femmes, je leur ai dit que je m’excusais, que ce n’était pas une vie pour elles. » Sonia décide de rompre toute relation avec Sauvons Calais et Kevin, devenu à ses yeux « un manipulateur ». Calais est une ville sinistrée, déchirée par la question des migrants. « Bien des calaisiens ne connaissent rien d’autre que leur quartier, croient les foutaises qu’on raconte sur les migrants, et recrachent le discours simpliste de Sauvons Calais. Mais dès qu’ils sont concrètement au contact des migrants, beaucoup changent d’avis », analyse Séverine Mayer.

Comme pour se repentir, Sonia se jette à corps perdu dans la cause migrante. Elle sert des repas avec l’association Salam, lave le linge des réfugiés souillé par la boue, les conduit à l’hôpital, recharge leur portable, met sa douche à disposition… « Je me suis rendu compte que beaucoup de Calaisiens aident dans l’ombre », raconte Sonia. La transfuge suscite la méfiance des militants humanistes.  « Certains disaient que j’étais raciste et que je le resterai. Avec le temps ils ont compris que mon engagement est sincère ». Ces soupçons s’évaporent tout à fait lorsqu’en juillet, Sonia n’hésite pas à défier les policiers lorsqu’ils expulsent 600 personnes du principal camp de réfugiés, près de la zone portuaire. La dissidente paye le prix fort pour sa rupture avec Sauvons Calais : son adresse est divulguée sur Twitter, elle reçoit des textos de menaces, ses pneus de voiture sont crevés. Mais Sonia ne plie pas : « En militant à Calais Ouverture et Humanité, j’ai perdu beaucoup de mes amis, mais j’en ai gagné davantage. »

Dans son salon, elle montre fièrement les photographies : « Voilà mes amis afghans, qui ont habité ici cet été. Certains sont passés en Angleterre, d’autres sont retournés dans la Jungle de Calais ». Et puis, en septembre, lors d’un spectacle de cirque en soutien aux migrants, Aamir est entré dans sa vie. Le bel Afghan de 23 ans était à Calais depuis cinq mois. Dans un anglais rudimentaire, ils ont fait connaissance, et, au fil des textos échangés, sont tombés amoureux l’un de l’autre. Désormais, Sonia ne voudrait pour rien au monde qu’Aamir ne quitte la France. Ca tombe bien, il y a renoncé.

Elsa Sabado et Anna Benjamin

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

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