La cité du cancer (Society, octobre 2016)

Construite à la fin des années 60 pour accueillir une communauté gitane qui logeait jusqu’ici dans une décharge, la cité de l’Espérance, à Berriac, près de Carcassonne, devait garantir un avenir radieux à ses résidents. Quarante ans plus tard, le rêve a tourné au cauchemar. Morts précoces, cancers à répétition, problèmes de fertilité, ses habitants accusent la proximité d’un poste électrique et ont décidé d’attaquer EDF en justice. Un combat perdu d’avance? Pas sûr…

Les jours de pluie, ce sont des étincelles. La nuit, des arcs électriques. Et puis constamment ce bruit sourd, comme un bourdonnement à peine perceptible. Manuelle vit les volets fermés, et ce n’est
pas simplement en raison de la chaleur qui accable le Sud-Ouest de la France en cette fin d’été, mais à cause des pylônes électriques, ces obélisques de ferraille qu’elle côtoie depuis bientôt 50 ans. Elle aimerait ne plus les voir, ne plus les entendre. Difficile, pourtant: son logement est adossé au mur d’un poste électrique. À la cité de l’Espérance, à Berriac, un village sur les berges de l’Aude à quelques kilomètres de Carcassonne, les lignes à haute tension chevauchent les maisons des habitants, une communauté gitane de 300 personnes. “Une porte du poste électrique donne sur mon jardin, elle grésille, ça fait peur”, souffle Manuelle, qui est venue habiter la cité de l’Espérance à sa création, en 1968. Elle n’était alors qu’une petite fille. Aujourd’hui, elle a 59 ans et peut dresser
une longue liste de proches frappés par les maladies. “Mon frère est mort d’un cancer des poumons à 45 ans. Ma sœur et mes deux nièces ont des problèmes de thyroïde. Ma fille fait des crises de spasmophilie avec des épisodes épileptiques, énumère-t-elle. Il n’y a pas de maison où il n’y a pas de cancer, ici.” Près du canapé, un ventilateur empoussiéré souffle une brise à peine perceptible. Le regard fixé sur un téléviseur en veille, Manuelle se sent seule. Sa fille unique lui rend visite de temps en temps. “J’aurais aimé avoir une famille nombreuse, mais j’ai des problèmes de fertilité, comme tous mes voisins. Ma mère a eu huit enfants et maintenant, c’est tout juste si on arrive à en faire un normalement. On s’est séparés à cause de ça avec mon mari. Lui aussi est mort d’un cancer, cet été. On avait le même âge.” Pour Manuelle, le coupable est tout désigné: le poste électrique à haute tension. Avec quelques-uns de ses voisins, elle a d’ailleurs entamé une procédure judiciaire. Quinze gitans contre EDF, RTE et Enedis (ERDF). Pot de terre contre pot de fer.

Retrouvez ce reportage de Margherita Nasi et de la photographe Mahka Eslami dans le magazine Society d’octobre 2016. 

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