« Défendre mon peuple, c’est un devoir » (Phosphore, mars 2015)

Nous avons recueilli les sentiments d’Hélin, une jeune franco-kurde, en octobre 2014, pendant la bataille de Kobane.

Un jour, en septembre dernier, ma mère est venue me réveiller et m’a dit : « Ma chérie, aujourd’hui, Delil n’est pas venu travailler. Il est parti se battre en Syrie sur le front à Kobané ». Delil, c’est le cuistot de mon père, qui possède un restaurant kurde à Mantes-la-Ville. Il est kurde et a 18 ans, comme moi : nous appartenons à un peuple qui subit des persécutions depuis trente ans (encadré). Et encore aujourd’hui les Kurdes qui vivent en Syrie et combattent Daesh, une armée d’islamistes qui veut instaurer un régime fanatique, sont en danger. L’annonce de ma mère m’a travaillé toute la journée, et me poursuit encore. Je ne m’attendais pas à ce que Delil parte. Où est il ? Que fait-il ? Chaque jour, je crains qu’on nous apprenne sa mort. Son départ a rendu l’idée d’aller au combat très concrète. Pour la première fois, je me suis mise à réfléchir à aller là-bas pour prendre les armes, alors qu’avant c’était inimaginable.

Car défendre mon peuple, pour moi, c’est un devoir. Mes deux parents sont kurdes : mon père a du s’exiler de Turquie parce qu’il était persécuté dans les années 1980, et ma mère a du cacher qu’elle était kurde toute son enfance. Grandir avec leurs histoires de souffrance et d’exil, ça forge le caractère. La première fois que je suis allée en Turquie, je me suis faite arrêter et interroger à l’aéroport avec ma sœur, parce qu’elle avait le prénom d’une combattantekurde célèbre. Peu à peu, la peur des discriminations a laissé place à un sentiment de révolte. Celui-ci n’a jamais été aussi fort que lorsque trois combattantes kurdes ont été assassinées, au cœur de Paris il y a un an. Cela m’a bouleversé, et depuis, le poster à l’effigie de l’une d’entre elle est accroché au mur de ma chambre.

Je ne supporte pas de rester les bras croisés devant l’injustice qui est faite à mon peuple, mais prendre les armes demande un grand courage, celui de regarder la mort en face. Et pour l’instant, je ne l’ai pas. Alors je trouve d’autres moyens de combattre : j’envoie une partie du salaire de mon petit boulot à Kobané, de la nourriture, des fournitures scolaires. En décembre, pour les vacances, je vais aller en Turquie pour aider les réfugiés : cela soulage ma conscience.

Si pour l’instant, l’urgence est de se battre contre l’Etat islamique au jour le jour, à l’avenir, j’aimerais que les Kurdes puissent enfin vivre sur leurs terres. Moi je resterais en France, où j’ai grandit, mais mes parents retourneraient vivre là-bas, dans une grande maison, où je pourrais aller chaque vacances avec mes enfants. Et ainsi faire perdurer la culture kurde à travers les générations.

Helin, 18 ans

Le Kurdistan est une région partagée entre quatre pays : l’Irak, la Turquie, la Syrie et l’Iran. Au nombre de 35 millions, les Kurdes sont le plus grand peuple sans Etat au monde. Depuis le début du XXème siècle, ils luttent pour avoir leur propre pays.

Victimes de persécutions et de répressions – interdiction de leur langue et de leurs partis – beaucoup de Kurdes ont choisi l’exil, notamment en Europe et aux Etats-Unis.

Depuis l’offensive de l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, les Kurdes sont en première ligne pour combattre les djihadistes.

Elsa Sabado et Anna Benjamin

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

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