Escalators et metrocâbles changent la vie des faubourgs populaires de Medellin? (Revue Transport Public, juin 2016)

Medellin, deuxième ville de Colombie, est l’invitée d’honneur du Salon européen de la Mobilité, qui se tient du 14 au 16 juin à Paris. Ancienne ville la plus dangereuse du monde, elle est aujourd’hui l’une des métropoles les plus dynamiques d’Amérique Latine. Pour sortir ses quartiers les plus pauvres de la violence, elle a notamment misé sur les transports et l’innovation. Elle poursuit sa renaissance et n’en finit pas de remporter des prix. Elue « Ville la plus innovante du monde » en 2013 par The Urban Land Institute, en mars dernier, elle remporte le Lee Kuan Yew World City Prize considéré comme le Nobel d’urbanisme.

Le rendez-vous est donné à la station de métro San Javier à l’ouest de la ville. Un petit groupe de jeunes touristes attend patiemment, appareils photo en bandoulière sous les regards intrigués des paisas (habitants de la région de Medellin). Quinze minutes plus tard le guide arrive. Casquette de base-ball vissée sur la tête, tee-shirt large flashy, baggie et dernières baskets à la mode, Juan Ortega, 26 ans, ne passe pas inaperçu. « Bienvenue à la « Comuna 13 », l’une des communes les plus dangereuses de Medellin » lance-t-il avec un large sourire, avant de se rattraper. « Non ça c’était avant, je vous rassure, maintenant tout est calme, on peut commencer la visite ! ». 

Depuis 5 ans, Juan Ortega et son association de quartier « La casa de hip-hop Kolacho » proposent des Graffitis Tours dans la Comuna 13 aux touristes qui veulent découvrir une autre réalité de la ville. Outre le street-art, les jeunes américains, anglais ou français sont surtout venus voir les impressionnants 384 mètres d’escalators mondialement connus, qui serpentent à travers les ruelles et maisonnettes colorées de ce quartier en pente niché sur les collines ouest, là où le chanteur Enrique Iglesias a notamment tourné son dernier clip. 

Mais la Comuna 13 revient de loin, zone de non droit dirigée par les cartels dans les années 90 et 2000, elle a vécu des jours sombres de guerres urbaines. Les habitants vivaient repliés sur eux-mêmes. Jusqu’à ce que la municipalité prenne les choses en main et décide de récupérer ces quartiers à travers ce qu’elle appelle son Projet urbain d’intégral, une intervention physique, sociale et économique simultanée. « Nous voulions rompre ce ghetto social. Nous avons donc commencé par l’ouverture d’un collège-lycée en 2008, nous avons pris contact avec la population et intensifié la présence policière, ensuite il fallait améliorer la vie quotidienne des gens qui devaient monter des centaines d’escaliers avant d’arriver chez eux » explique César Hernández Correa, le directeur de l’Entreprise de développement urbain affiliée à la municipalité.  « Il fallait trouver une solution durable et facile à installer, compte tenu de la topographie montagneuse, nous avons opté pour les escalators pour un coût de trois millions d’euros » poursuit-il. Les travaux commencent en 2009 sous la protection des militaires mais sont à plusieurs reprises interrompus par des affrontements entre les bandes criminelles.

« Pour la plupart, les habitants ne savaient même pas ce qu’étaient des escalators, ils ne descendaient pas d’ici. Maintenant 1500 personnes les empruntent chaque jour depuis leur mise en service en 2012, c’est une fierté pour les habitants et le monde entier vient les voir » sourit le directeur. Autour des escalators, 900 maisons ont été repeintes de toutes les couleurs, et à l’arrivée une voie piétonne et cyclable relie les collines entre elles.  Mais derrière ce ravalement reste d’autres barrios (quartiers) toujours aussi dangereux : « Bien sûr nous n’avons pas fini, nous travaillons sur un projet qui s’étend sur 12 ans, nous allons continuer la voie piétonne pour relier les collines de la commune et effacer les « frontières invisibles ». L’année prochaine, de nouveaux escalators seront installés. » ajoute César Hernández Correa.

Cinq lignes de Metrocable

Mais cette success story et ce choix de transport surprenant dans un des quartiers les plus dangereux de la ville, n’est que l’un des nombreux exemples de la politique de désenclavement des quartiers de Medellin. Depuis les années 2000, les différentes gouvernances de tout bord ont eu à cœur de développer ces quartiers gangrénés par la violence grâce à la mobilité et à la rénovation urbaine.  Tout a commencé avec le « Metrocable » lancé en 2004, un service de transport public par télécabines qui relie le métro de la ville (ouvert en 1995) et les quartiers de Santo Domingo sur les hauteurs, une première mondiale alors que les cabines étaient plutôt réservées aux stations de sport d’hiver ou au tourisme. 

Construite par l’entreprise grenobloise Poma, cette première ligne eut un succès inespéré dès ses débuts, là où il fallait une heure et demie pour descendre en ville, il ne faut plus que dix minutes. Elle transporte douze millions de personnes par an. 

Pourtant au départ, c’était un projet fou pour beaucoup. « Nous avons fait plusieurs études : le métro était impossible à installer sur cette montagne et les bus pollueraient trop et nécessitaient beaucoup d’espace. J’ai alors pensé aux télécabines et on m’a pris pour un fou » s’exclame Luiz Perez, ingénieur de la planification du Métro de Medellin à l’époque, aujourd’hui directeur adjoint des projets de la Métropole de Medellin. Luiz Perez fut le premier à soumettre cette idée de Metrocable : « J’ai rencontré plusieurs entreprises européennes dont Poma, au départ tout le monde était perplexe, ça n’avait jamais été fait auparavant : des télécabines qui transportent des passagers tous les jours de l’année, est-ce que la technologie était adaptée ? » explique-t-il. 

Trois ans d’études et de recherches sont nécessaires pour développer ces nouveaux systèmes de transport.  En 2002 les travaux commencent. Parallèlement, la ville envoie des travailleurs sociaux pour approcher les habitants et leur faire admettre l’idée d’implanter chez eux des lieux culturels. Aujourd’hui, la bibliothèque España, deux grands blocs noirs, domine la ville et devient le symbole de ce nouveau Medellin. Elle accueille des milliers de visiteurs par an et attire les touristes du monde entier. « Avant personne ne pouvait entrer dans ces quartiers, maintenant ils sont complètement intégrés dans la ville et nous avons réduit la violence de 80 % » ajoute Luiz Perez. En 2008 et 2010, deux autres Metrocables ont été inaugurés, et l’entreprise française Poma est en train d’installer deux nouvelles lignes (voir article sur Poma).

Des tramways alsaciens

Dernière innovation du Métro de Medellin : la ligne d’Ayacucho, première ligne de tramways sur pneus d’Amérique Latine. 4,3 km relient les deux métros du centre-ville et les deux prochaines lignes du Metrocable à l’est. Une ligne alsacienne puisqu’en 2012 la ville a commandé 12 tramways Translohr STE 5 à l’entreprise NTL basée à Duppigheim et qui compte 250 employés. Une commande de plus de 42 millions d’euros. Inaugurée en octobre 2015, la ligne d’Ayacucho a officiellement été mise en service le 31 mars et attend 85 000 passagers par jour.

Seule entreprise à produire des tramways sur pneus, NTL relève les défis topographiques de la ville : « C’est une prouesse technique, nos tramways s’insèrent dans des rues étroites avec des virages serrés, ils franchissent des pentes avec une inclinaison de 12% » souligne Guillaume Legoupil, directeur du développement commercial et des ventes de NTL. Avec ce contrat, NTL fait son entrée sur le marché latino-américain. « On espère avoir le même destin que Poma, on compte beaucoup sur Medellin pour être notre vitrine en Amérique Latine, et vu la topographie montagneuse des villes sur le continent, on est bien positionné avec nos véhicules, on a vocation à grossir. » explique Olivier Brihaye, directeur des ventes Amérique latine chez NTL. 

Cette ligne s’inscrit aussi dans une dynamique sociale et environnementale : « Avec ce « Corridor Vert » comme nous l’appelons (tramways et téléphériques), nous relions 300 000 personnes au centre-ville, nous favorisons ainsi l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la culture à des populations longtemps livrées à elles-mêmes. Nous avons là aussi rénové tout un quartier, 684 façades de maisons ont été repeintes, nous voulons amener une nouvelle dynamique économique, faire venir les gens d’autres quartiers de Medellin, les touristes. » explique le maire Federico Gutiérrez. Il prévoit aussi la construction d’une nouvelle ligne de tramway sur la route 80 à l’ouest de la ville, sans préciser si ce sera avec NTL.

Ville la plus polluée de Colombie

Mais il reste à Medellin encore beaucoup de défis à relever, notamment celui de réduire ces émissions de CO2. Fin mars, elle subit un pic de pollution, le plus important de son histoire et devient la ville la plus polluée de Colombie, la neuvième en Amérique Latine. Durant des semaines, un smog recouvre Medellin dû en partie au phénomène climatique El Nino, peu de pluie et de vent pour chasser les nuages. Mais la ville doit surtout faire face à une pollution grandissante générée par les émissions de CO2. « Le problème, c’est le nombre de voitures et de motos, qui est passé de 480 000 en 2005 à plus de 1 million aujourd’hui”, explique l’hebdomadaire colombien La Semana, le parc de motos a augmenté de 276 % en dix ans.

Le maire Federico Gutiérrez a pris des mesures d’urgence pour réduire la circulation : métro gratuit, plages horaires sans voiture ni moto et circulation alternée. Les grands pollueurs sont aussi les colectivos. Appartenant à des entreprises privées, ces bus assurent la majorité des transports de la population de la ville, vieux, défectueux voire dangereux, le maire souhaite un changement radical. « Je veux tout restructurer, réunir tous les acteurs et identifier et créer de nouvelles lignes publiques sur les routes stratégiques qui fonctionneront avec le Métro de Medellin, je veux arrêter ces pollueurs et cette anarchie. » avance-t-il. Un énorme chantier risqué puisque ces colectivos appartiennent pour certains à des « mafias » qui ne lâcheront pas si facilement un marché lucratif.

Autre grand défi pour réduire les émissions de CO: le vélo. La mairie souhaite encore développer ce mode de transport en ville, en plus de la trentaine de kilomètres de pistes cyclables existantes, elle prévoit la construction de 80 km ainsi que la création de rues piétonnes en centre-ville. Depuis 2011, Medellin peut déjà se targuer d’un système équivalent au Vélib’ parisien mais gratuit ! « Encicla » compte pas moins de 53 stations réparties aux quatre coins de la ville. La Métropole de la Vallée d’Aburra vient aussi de lancer son Grand Plan Métropolitain pour la biciclette-2030 : elle veut mettre en place un réseau de voix cyclables pour qu’en 2030, le vélo représente 10% des moyens de transports.

De nombreuses associations se sont aussi crées pour demander une ville sans émission de CO2, comme « Ciudad Verde » qui organise un forum mondial sur la question en octobre à Medellin. Elle invitera politiciens, chercheurs et citoyens à réfléchir à des solutions. Les cinq filles de l’association « Mujeres en bici enamoran » attendent aussi beaucoup des promesses du maire : « Nous pensons que le vélo est le futur pour Medellin. Pour nous la priorité, ce ne sont pas les voix cyclables mais la sécurité et l’accessibilité. Nous voulons nous sentir libre de pédaler où bon nous semble mais il reste des quartiers où circuler à vélo n’est pas normal, il faut tout un programme de sensibilisation » explique Clara Arango, la responsable. Elles proposent ainsi des projets d’aménagements urbains pour les vélos et espèrent être entendues par les pouvoirs publics pendant les Championnats du monde de BMX fin mai à Medellin.

Un reportage de Sarah Nabli pour la revue Transport Public. 

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