Guerre et paix (Society, mars 2018)

Ce printemps devait sanctifier le processus de paix en cours en Colombie, en permettant notamment aux anciens guérilleros des FARC de participer aux élections législatives et à la présidentielle. Mais rien n’est jamais simple en Colombie. Malade et en proie à une hostilité grandissante, le candidat des anciens rebelles, Rodrigo Londono Echeverri, dit “Timochenko”, a abandonné la course. Enterrant du même coup la paix? C’est la question que se pose le pays.

 

Quelqu’un a augmenté le volume de la musique. Sur un tempo frénétique de basses et timbales, on s’agglutine au fond de la salle. Mais ce n’est pas pour danser collé-serré la salsa caleña. Il s’agit d’éviter les oeufs et les pierres qui s’abattent sur les fenêtres. Quant à la musique, elle est moins là pour mettre l’ambiance que pour couvrir les insultes. C’est peine perdue. “ Assassins ! Terroristes ! Violeurs d’enfants ! ”, scande la foule dans la rue. Pour que la scène ne vire pas au lynchage, le gouvernement colombien déploie les gros moyens. Tanks et hélicoptères patrouillent ce matin dans Cali, la troisième ville du pays. “ Vous les avez traqués pendant des années, maintenant vous les défendez !” s’indignent les manifestants. Car ce sont des ex-membres des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) que protègent les policiers anti-émeute campés devant cet immeuble du centre-ville. Ici, les anciens rebelles donnent en ce matin de février une conférence de presse. En 2016, un accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC a mis fin à 53 ans de conflit sanglant. Un an plus tard, les anciens guérilleros se transforment en parti politique. Fini les FARC, Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, vive la FARC, Force Alternative Révolutionnaire Commune ! Timochenko, 59 ans dont 30 passés “en el monte” comme on dit ici, ancien leader de la plus ancienne guérilla d’Amérique latine, se porte candidat aux présidentielles de mai 2018. Les anciens rebelles ont gagné la protection du gouvernement, pas la sympathie populaire. C’est une foule orageuse qui poursuit Timochenko tout au long de sa campagne. Ce matin ne fait pas exception : le leader du parti de la rose parcourt en courant les quelques mètres qui séparent sa voiture blindée de l’entrée de l’immeuble. A l’intérieur, les journalistes se pressent autour de l’ex ennemi public n°1, en chemise rose et épinglette FARC. Derrière son collier de barbe bien taillé, Timochenko affiche un sourire qui se veut rassurant. “Ne laissons pas un groupe minoritaire nous replonger dans le passé, dans une époque de haine et de violence. La Colombie est fatiguée de la guerre, fatiguée de l’intolérance, la Colombie veut la démocratie, construire un futur prospère pour les nouvelles générations“, clame-t-il dans un discours express, avant de détaler sur les chapeaux de roue. Dans un nuage de poussière, son 4×4 est poursuivi par les manifestants. Timochenko court plus en campagne que dans la jungle. Un mois plus tard, le 1er mars, le parti annonce son retrait de la course à la présidentielle. Officiellement, “Timo” comme l’appellent ses partisans, a fait un arrêt cardiaque. Officieusement, sa maladie permet aux FARC de s’extirper de cette campagne désastreuse par la porte de l’hôpital plutôt que sous un jet d’oeufs.

Retrouvez la suite de ce reportage de Margherita Nasi et Léonor Lumineau dans le magazine Society n°77. 

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