Handicapés: l’accessibilité, c’est pour quand ? (Le Pélerin, avril 2014)

Depuis près de quarante ans, les personnes en situation de handicap se battent pour se déplacer en toute autonomie. À l’occasion de la Journée mondiale des mobilités et de l’accessibilité, le 30 avril, retour sur un chantier qui n’en finit pas.

Cet après-midi, attablés dans le quartier de la caserne de Bonne à Grenoble (Isère), sous un soleil printanier, cinq jeunes sirotent une boisson fraîche. Trois d’entre eux sont en fauteuils roulants. Sarah Bocquet, 26 ans, est arrivée au centre de rééducation de Saint-Hilaire du Touvet, près de Grenoble, après un accident de voi- ture en 2008, et a choisi de rester dans la ville. « Grenoble a un haut niveau d’accessibilité, explique-t- elle. Le plancher du tram est, par exemple, exactement à la hauteur du quai et les rames desservent un grand nombre d’endroits. La voi- rie est adaptée presque partout : les bateaux sont à fleur de trottoirs et il y a peu de « déserts », c’est-à-dire des trottoirs inclinés qui nous obligent à des manœuvres compliquées. » Ici, Sarah a ses petites habitudes : « Je vais fréquemment dans un bar où une rampe a remplacé les deux marches qui auparavant me barraient l’ac- cès. Et au centre commercial de la caserne de Bonne, qui est neuf, je peux faire du shopping partout. » Grenoble caracole en tête du dernier baromètre de l’Association des paralysés de France* (APF). Cette récompense est le fruit d’une politique volontariste menée depuis près de vingt ans : chaque année, la ville consacre un million d’euros aux travaux de mise aux normes. « On doit cette dynamique à François Suchod, un élu écologiste souffrant lui-même de handicap, qui œuvra sur ces ques- tions entre 1995 et 2008 », affirme la toute nouvelle conseillère municipale déléguée à l’accessibilité, Christine Garnier. « Grâce à lui et aux antennes locales de l’APF et de l’Age- fiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), Grenoble affiche un bilan très positif : deux tiers de la voirie, 58 % des carrefours et 52 % des bâtiments publics sont accessibles », poursuit l’élue.

Aménager, oui, mais avec quels moyens ?

À plus de 700 kilomètres de là, vers l’ouest, Alençon (Orne) pointe en avant-dernière position dans le classement de l’APF. Pour les personnes à mobilité réduite, le stade municipal, le cinéma et, surtout, le centre-ville et ses pavés historiques, sont quasiment impraticables. « Les difficultés techniques sont réelles, reconnaît Mathieu Mamberota, directeur de la délégation APF de l’Orne. Mais le plus symptomatique, et le plus grave, c’est que la mairie n’a pas encore réalisé les documents qui devraient exister depuis plusieurs années, comme le Plan de mise en accessibilité de la voirie et d’aménagement des espaces publics. » La loi du 11 février 2005, sur le handicap, qui venait renforcer un texte de 1975, prévoyait une mise en accessibilité des espaces publics au 1er janvier 2015. À moins d’un an de l’échéance, force est de constater que l’objectif est loin d’être atteint. En février, le gouvernement a accordé des délais supplémentaires aux établissements qui accueillent du public à condition qu’ils s’engagent à faire des travaux. Reste à savoir si ce nouveau calendrier sera le bon. Au lendemain de l’annonce alertant l’opinion et les pouvoirs publics de l’urgence de la situation, l’APF a lancé une pétition (2) qui a déjà collecté plus de 167 000 signatures. « Nous avons bon espoir de faire bouger les lignes, assure Nicolas Mérille, conseiller national sur l’accessibilité à l’APF. Beaucoup de choses sont faites dans les constructions neuves, mais il y a encore des aberrations. Pourquoi, par exemple, le service de transport de la communauté de communes de Guéret (Creuse) n’est-il pas adapté aux personnes à mobilité réduite alors qu’il est flambant neuf ? »

Pour les bâtiments privés déjà existants, qui abritent la majorité des commerces ou cabinets médicaux et paramédicaux, la mise en accessibilité relève souvent du casse-tête. « Chaque lieu est particulier et l’ap- plication des normes est très complexe, rappelle Monique Peynaud, architecte, fondatrice de l’agence de conseil Accès Handicap. L’installation de toilettes pour handicapés, d’une rampe, ou un changement d’ascenseur constituent des travaux très lourds. » La loi ne prévoit aucune subvention pour ces aménagements. Or, refaire la vitrine d’un magasin pour agrandir l’entrée est un investissement considérable. « Les petits commerces sont déjà fragilisés par la crise, ce n’est pas leur priori- té », explique Bénédicte Boudet, en charge du dossier pour la Fédération nationale de l’habillement, qui regroupe 50 000 boutiques en France. Consciente de ces difficultés, la ville de Grenoble alloue des subventions aux commerces qui font le choix de l’accessibilité. Un vrai coup de pouce pour faire avancer l’égalité.

Marie-Valentine Chaudon et Elsa Sabado, dans Le Pèlerin du 24 avril 2014

(1) Ce classement annuel avec les chefs-lieux des 96 départements, prend en compte l’aménagement de la voirie, des transports, des bâtiments publics, des commerces… (2) La pétition de l’APF pour l’accessibilité est disponible sur : wwwchange.org

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

 

 

 

suivez-nous