L’absence d’accueil durable met les enfants roms à rude école (L’Humanité Dimanche, août 2015)

Un peu partout, la scolarisation des enfants roms, nombreux dans le 93, est très aléatoire. Structures d’accueil insuffisantes, expulsions estivales, absence de relogement: le travail des enseignants et des associations est mis en péril. Comme le sont les progrès scolaires des petits migrants.

Voilà l’été, la saison des vacances… et des expulsions des bidonvilles abritant les Roms. La Folie à Bobigny, le village d’insertion de Saint-Ouen, et bientôt le Samaritain à La Courneuve, les noms de lieudits s’égrainent dans la torpeur aoûtienne. Faute de solution d’accompagnement, ces expulsions font voler en éclats le travail mené par les associations pour sortir ces migrants de leur extrême précarité.« Dans 90 % des cas, les enfants victimes d’expulsions, qui étaient scolarisés, ne reviennent pas à l’école », déplore Baptiste Pascal d’Audaux, médiateur scolaire à l’ASET 93, qui aide à l’inscription des enfants dans les écoles publiques de la Seine-Saint- Denis, et, à défaut, leur fait cours au sein des bidonvilles dans des « camions-école».

L’association intervient sur le « Platz » du Samaritain, à La Courneuve. Elle a accompagné les parents de Théodora pour l’inscrire à l’école voisine, Saint-Exupéry. Scolarisée depuis le CP, elle entre cette année en CM1: « Je préfère aller à l’école que faire la classe au camion: j’apprends mieux, et puis ce n’est pas sale. » Angelo avait fait toute sa scolarité dans les « camions-école » de l’ASET. « En 2013, j’ai voulu l’inscrire en CM1 à l’école publique. Mais il n’y a qu’une classe adaptée aux non-francophones (UPE2A) à La Courneuve, et il n’y avait plus de place en CM1. Pendant un an, il a alterné: deux jours dans une école, deux jours dans une autre. L’année suivante, rebelote. Résultat, son assiduité en a pâti », déplore Baptiste Pascal d’Audaux.

En 2014, l’ASET a décidé de concentrer son travail sur le Samaritain, en faisant venir leurs trois camions-école, deux fois par semaine. « Avant la décision d’expulsion, nous avions réussi, avec difficulté, à scolariser huit enfants en primaire. Mais depuis que le tribunal a prononcé la décision d’expulsion en octobre, la mairie a cessé d’inscrire les enfants du Samaritain », raconte le médiateur de l’ASET. Ce que dément la municipalité.

Le Samaritain pourrait être détruit aux alentours du 20 août. Mais, contrairement à ce que préconise une circulaire de 2012, la préfecture n’a proposé aucun relogement, même d’urgence. « Les enfants vont être dispersés. Tout ce qu’on a fait cette année va être réduit à néant », regrette Clélia, institutrice dans les camions-école. À Bobigny, la situation est différente. Après l’expulsion des Coquetiers, à la Toussaint 2014, 27 familles ont été relogées en province. Trois d’entre elles, seulement, y sont restées. Aujourd’hui, bon nombre d’enfants sont revenus et fréquentent l’école régulièrement. « Cette réussite est due à une conjonction de facteurs: une équipe de professeurs très engagée, quatre classes UPE2A, des écoles à proximité des bidonvilles, des expériences de scolarisation positives pour les familles partagées … » analyse Clélia.

Anne Lesage, institutrice à l’école Paul-Éluard, s’est rendu compte que Samuel, son élève, avait été expulsé du bidonville des Coquetiers en novembre. Après l’expulsion, il a passé quelques nuits à l’hôtel, avec l’hébergement d’urgence, aux Ulis ou à Clichy-sous-Bois. Il s’est ensuite installé avec sa mère, son grand-père et ses deux sœurs dans une cabane au bord de l’autoroute. « Il n’a jamais cessé de venir à l’école. Mais il était crevé, l’après-midi, ses yeux se fermaient. Allez vous concentrer quand vous ne savez pas si vous allez retrouver vos parents menacés d’expulsion le soir, ou si votre cabane n’aura pas été détruite. Allez faire vos devoirs, éclairés à la bougie sous une bâche en plastique. » Cet été, Samuel est parti en Roumanie avec sa mère. Sa cabane a été détruite, mais il veut revenir en septembre, comme il l’a expliqué à Anne, qui lui téléphone régulièrement.

En trois ans, en Seine-Saint-Denis, la population rom est passée de 7 000 à 2 700 personnes. Ils se sont dispersés en Seine-et-Marne, en Allemagne, sont retournés en Roumanie. « C’est une génération entière d’illettrés qu’on est en train de fabriquer », conclut Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny. C’est le travail de dizaines d’associatifs et d’enseignants qui est saboté. « En juin, on a distribué des cartes de visite en demandant aux parents de nous rappeler, quoi qu’il arrive. Mais on agit sur les symptômes, et pas sur les causes », conclut Baptiste Pascal d’Audaux.

Elsa Sabado

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

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