L’appel de la forêt (Society, décembre 2020)

On l’appelle le douglas. C’est un conifère venu d’Amérique du Nord qui pousse vite, bien, et permet de développer la filière bois. Ces dernières décennies, il s’est mis à recouvrir les forêts de France, notamment celles du Morvan, où l’on a fini par s’inquiéter : cette monoculture, qui crée de l’emploi, ne serait-elle pas en train de tuer nos forêts? 

Il fait étonnement doux. Plus de 15 degrés en plein janvier, grand soleil. Rare dans le Morvan. Ce massif montagneux niché au cœur de la Bourgogne – le plus petit de France en altitude et en surface – a plutôt la réputation d’être humide et froid, rude parfois. D’ailleurs, “Morvan” découlerait de termes d’origine celtique faisant référence à la “grandeur”, la “forêt”, la “sombreur”, le “noir”. Quand on y pénètre, l’ambiance change : le temps semble ralentir, la cime des arbres bruisser plus fort, la nature être plus libre. Contourné par toutes les grandes voies de communication – autoroute, train – le Morvan est relativement isolé, et on s’y retrouve donc rarement par hasard. 

Nicolas Henry, dit “Grand Nico”, carrure de géant et longues dreadlocks, lui, est revenu vivre sur sa terre d’origine. Ce matin ensoleillé donc, sur ce flanc de colline, cet ancien éducateur devenu paysagiste-élagueur est carrément en t-shirt. Il fait d’autant plus chaud qu’il faut lever haut les jambes pour progresser péniblement : au sol, des millions de branches s’entrelacent et des grumes attendent que la machine de débardage vienne les récupérer. Plus loin, l’avancée des machines forestières et les râles des tronçonneuses résonnent. “Avant, il y avait ici une forêt avec différentes espèces de feuillus – chênes, hêtres, charmes, etc. Ils sont en train de tout couper pour replanter du douglas en monoculture”, explique-t’il. “Ils disent reboiser, mais ce ne sont pas des forêts, ce sont des champs d’arbres, des forêts mortes, on y entend pas le chant des oiseaux”, grince-t-il, en balayant de ses yeux bleu glacier les douglas alignés non loin. 

Le douglas ? Après la Seconde Guerre mondiale, la France a besoin de bois pour se reconstruire. De beaucoup de bois. Et puis, Paris a l’habitude de mettre le Morvan, considéré comme vide et pauvre, à son service : du XVIème au XIXème siècle, il en tire la quasi-totalité de son bois de chauffage, puis des jeunes femmes pour devenir nourrices pour les enfants des bourgeois. Alors, à partir des années 1950-1960, c’est l’endroit parfait pour planter cette essence originaire d’Amérique du Nord qui se plaît dans les climats frais. Un arbre “magique”, disent certains forestiers. Le douglas pousse droit, vite et bien – on le “récolte” à 40-50 ans, contre plus de 100 ans pour un chêne – et son bois est de qualité. Sa structure simple et sa plantation en lignes rend son exploitation mécanisable, donc économiquement plus rentable. 

Lire la suite de cette enquête photos et texte de 6 pages de Léonor Lumineau dans le Society de décembre-janvier 2020. 

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