Laure Tallonneau, un phare dans la tourmente des marins exploités (L’Humanité Dimanche, mars 2015)

Sa silhouette fluette semble minuscule devant la proue du cargo frigorifique Karl, qui dresse piteusement ses peintures blanches et rouges, dans le crachin du port de Brest. Pourtant, avec ses cheveux négligemment rassemblés, son jean délavé et son sac à dos de lycéenne sur les épaules, Laure Tallonneau est la dernière bouée à laquelle l’équipage peut espérer s’accrocher. Les marins, Roumains, Guatémaltèques et Honduriens, n’ont pas reçu leur dernier salaire et le propriétaire suédois de ce navire, immatriculé à Saint-Kitts-et-Nevis, est aux abonnés absents. Le bateau est bloqué à quai. Il fait l’objet d’une procédure de saisie judiciaire et s’est vu refuser le droit de reprendre la mer, les contrats et salaires des marins n’étant pas en règle.

Le risque est maintenant que l’équipage soit purement et simplement abandonné à lui même. Laure Tallonneau connaît la chanson. Depuis janvier 2011, cette inspectrice de la Fédération Internationale des Transports arpente les coursives des bateaux en escale dans les ports bretons. Sa mission ? Venir en aide aux marins et faire respecter leurs droits. Et il y a du travail. « Des problèmes, il y en a sur chaque bateau », assure-t-elle.

Absence de contrat, journées à rallonge au mépris des règles de sécurité, salaire non versé, obligation pour l’équipage de payer lui-même la nourriture et l’eau, « c’est de l’exploitation », assène-t-elle d’un ton sans compromis. Dans les eaux troubles du transport maritime international, armateurs et affréteurs peu scrupuleux conjuguent leurs efforts pour limiter leurs coûts. Victimes des normes sociales très accommodantes des pavillons de complaisance et du laisser-faire complice des autorités, les marins trinquent.

Mais du haut de ses 29 ans, Laure Tallonneau entend bien combattre ce système. « C’est la loi du pays du port qui doit prévaloir, pas celle du pavillon, notamment concernant la liberté syndicale »,  justifie-t-elle. Avec son parcours de juriste, diplômée d’un master de droit social à Nantes, cette Vendéenne d’origine détonne dans le très masculin milieu maritime. Mais elle a su gagner la confiance des équipages, qui de ports en ports se transmettent son numéro. « Je me suis d’abord méfier mais sa force c’est justement qu’elle n’est pas issue du système », confie Jean-Paul Hellequin, une figure de la CGT des marins du Grand Ouest, qui l’a rapidement pris sous son aile. Avec lui, elle co-préside l’association Mor Glaz, qui prend régulièrement position pour défendre les scandales maritimes en tout genre. Car si Laure Tallonneau n’est pas une femme de grands discours, sur le terrain, elle ne lâche pas le morceau.

Ainsi, en 2012, lorsque les marins Russes et Lituaniens de l’Antigone Z, bloqué à Brest, font grève pour réclamer le versement de leurs salaires alors que certains n’ont pas été payés depuis 11 mois, et que l’armateur grec, criblé de dette, ne donne plus signe de vie, c’est elle qui s’organise pour leur trouver de quoi faire quelques courses, se nourrir et se soigner. C’est elle aussi qui arrange leur rapatriement, une fois leurs 250 000 dollars d’arriérés de salaires versés par l’affréteur, pressé de récupérer sa cargaison.

Ni amoureuse de la mer, ni passionaria de la lutte sociale, son moteur est simplement le refus d’admettre une situation qui ne semble plus choquer grand monde tant elle est devenu la norme même dans les bassins français. Ainsi, les marins malouins de la Condor Ferries sont ils privés de sécurité sociale et les bateaux immatriculés au Registre International Français, sorte de pavillon de complaisance made in France, peuvent-ils embarquer des matelots aux conditions de leur pays d’origine. C’est le cas des câbliers d’Orange Marine, une filiale d’Orange. En février, on lui a refusé l’accès à l’un d’entre eux alors qu’elle voulait rencontrer son équipage majoritairement Malgache.

Car son travail dérange. En fin d’année dernière, les autorités portuaires et la préfecture du Finistère ont menacé de lui supprimer son accès au port. « Cela me donne envie de lutter encore plus », commente cette battante, bien décidée à poursuivre sa mission, même seule contre tous, pour que le territoire du droit ne s’arrête pas aux frontières des zones portuaires.

Marion Perrier

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