Les Arcelorettes, dans l’ombre des hauts-fourneaux

DelphineKremer-1-5Le bord du ring : c’est la place dévolue aux femmes d’Arcelor Mittal dans le duel entre les sidérurgistes de Florange et le champion de l’acier Mittal. Réduite à préparer le café et à essuyer les larmes des syndicalistes, Delphine Kremer, 33 ans,  aimerait aussi partager avec eux la médaille du mérite.

 

Ce soir de novembre, un épais brouillard baigne la ville de Fameck, non loin de Florange. Dans la salle Victor Hugo, les syndicalistes d’Arcelor-Mittal, en lutte depuis 18 mois pour sauver leur emploi, assistent à la projection d’un film consacré à leur combat. Les lumières se rallument, Edouard Martin, leur leader, prend place devant la toile, et égrène, la voix rauque : ” Antoine, Jafar, Luis… Descendez les copains !”. Pas un mot pour Sandra, Adèle… Salariées, épouses ou soutien, les compagnes de vie et de lutte n’auront pas droit aux projecteurs. Dans le fond de la salle, Delphine, une petite brune, bouillonne : “Rien pour les copines. Nous avons le même engagement, mais pas la même reconnaissance. Nous, on ne peut pas renverser des wagons de coke. Sur les piquets, on fait le café. Quand les journalistes viennent voir “les Florange”, ils nous ignorent, et foncent pour serrer la main aux hommes.” Mais ce soir, l’Arcelorette engueule le porte-parole. Edouard répond : “Tu aurais dû me le dire!”. La syndicaliste s’emporte : “Mais c’était à lui d’y penser tout seul”. Elle est une des premières à s’être levée contre la fermeture des derniers hauts-fourneaux de la vallée de la Fensch. Au début de la lutte, Delphine était même la seule femme de la CGT. Une des rares à fraterniser avec l’autre crèmerie : les “copains” de la CFDT.

L’amour devant la cheminée

Notamment avec celui qui, ce soir, fait l’objet de son courroux : Edouard Martin. “La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé grande gueule, mais charmant. Il m’a proposé de prendre un café. Il pensait m’emmener à la machine, je l’ai amené dans un bar à Thionville”. Une idylle nait. Alors que la flamme de leur amour grandit, la fumée des hauts-fourneaux est étouffée par Lakshmi Mittal. Fin 2011, l’inquiétude assaille les sidérurgistes lorsque le géant de l’acier éteint les deux cheminées de Florange. Les syndicats mobilisent : “Il fallait être sur le pont à 5 heures”, se souvient Delphine. Mais Edouard est inquiet : sa dulcinée est enceinte. Lorsqu’il lui demande de venir à 9 heures, la frondeuse le défie : “Je serai là à 5 heures”. La déléguée syndicale se donne à 100 %, mais en mars, la sentence du médecin tombe : l’activiste doit rester au repos jusqu’à son accouchement. Delphine se trouve vite une autre utilité : “En restant devant la télé, j’avais des informations que les gars n’avaient pas. On échangeait sur Facebook entre femmes de sidérurgistes”.

  “Ceux qui ne sont pas investis, on les vire”

C’est par ce biais que Delphine va découvrir le prix de son “absence”. Membre du collectif jeune de la CGT, celle qui était la chouchoute du syndicat apprend son éviction sur le réseau social. “Ils ont voté pour m’exclure du collectif, comme au tribunal. Sauf qu’au tribunal, les accusés sont là pour se défendre”. On lui rapporte les propos de ses anciens camarades :” Ceux qui ne sont pas investis, on les vire'”. Pour Delphine le prétexte de la purge est fallacieux. En tombant amoureuse du leader de la CFDT, elle avait pactisé avec le syndicat ennemi, était devenue la “femme de”. Ecoeurée, elle démissionne de la CGT pour rejoindre l’organisation de son homme. Et pendant que Delphine nous fait la causette dans les locaux syndicaux, Edouard Martin, “le working class hero”, change les couches de Pauline, quatre mois. Pour une fois, Delphine a droit aux projecteurs.

Par Elsa Sabado 

Crédit Photo: Marieau Palaccio

 

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