Mexique: La face cachée de la « guerre contre les drogues »

Corps extraits à la pelleteuse d'une fosse commune le 29 avril 2011 à Durango, Mexique (AP/SIPA) Les découvertes de charniers clandestins se multiplient. La presse les a baptisés « narcofosses ». Une réalité sordide faite de victimes innocentes et de tueurs impunis.

La dernière découverte morbide en date a marqué les esprits : dans l’Etat de Durango, près de 300 cadavres ont été retrouvés dans des charniers clandestins depuis avril dernier. Certains corps extirpés de la terre étaient là depuis quatre ans, d’autres depuis un mois.

Selon le bilan officiel de la « guerre contre les drogues » qui secoue le Mexique depuis 2006, de 36.000 à 40.000 personnes seraient décédées dans des violences liées au narcotrafic. Mais, depuis quatre ans, les découvertes de fosses communes clandestines se multiplient. Les Mexicains s’inquiètent : combien y a-t-il de cadavres oubliés du décompte dans les « narcofosses » ? Le poète mexicain Javier Sicilia, leader de la Caravane pour la paix qui a traversé le pays ces derniers mois, a publiquement soulevé le problème : « Le Mexique s’enterre dans des fosses commune ».

Depuis 2007, 174 fosses communes illégales ont été découvertes, selon le magazine politique mexicain Proceso. On y a trouvé plus de 1.000 cadavres. Pourtant, « les narcofosses découvertes ne sont que la pointe de l’iceberg », estime le prêtre Alejandro Solalinde, ardent défenseur des droits de l’Homme au Mexique, dans une interview accordée en mai au quotidien La Crónica de Hoy.

Des innocents parmi les victimes

Qui sont ces morts anonymes, entassés dans des charniers à la va-vite ? Il ne s’agit pas seulement de trafiquants rivaux enlevés puis assassinés par les cartels mais aussi de victimes innocentes.

En avril dernier, la découverte de près de 190 corps dans plusieurs fosses sauvages de l’Etat du Tamaulipas a écoeuré le Mexique et la communauté internationale. Les cadavres retrouvés sont ceux de passagers enlevés dans des bus à destination de la frontière américaine, toute proche. Un des présumés tueurs, Abraham Barrios Caporal, du cartel de Los Zetas, a été arrêté le 1er juillet. Interrogé par les autorités, il a expliqué que les passagers avaient été enlevés dans le but de repérer d’éventuels membres du cartel du Golf, le grand rival de Los Zetas. Mais il n’a pas expliqué pourquoi ils avaient tous été assassinés.

Ces fosses sont également remplies des cadavres de migrants clandestins. Venus d’Amérique Centrale, ceux-ci traversent le Mexique en direction de l’eldorado américain. Particulièrement vulnérables, ces illégaux sont enlevés par des bandes criminelles qui exigent à leur famille le paiement d’une rançon. Exigence honorée ou non, ils finissent souvent assassinés.

Le fléau des disparitions forcées

Les « narcofosses » dévoilent donc un autre drame d’un Mexique otage des bandes criminelles : celui des disparus. A chaque découverte de charnier, des centaines de familles se manifestent pour savoir si leur proche introuvable ne figure pas parmi les corps. « Avant, les familles ne déclaraient pas les disparitions de peur des représailles et parce qu’on ne retrouvait jamais les corps jetés seuls dans la nature. Mais à partir de 2007, quand on a commencé à découvrir beaucoup de fosses communes clandestines, elles se sont manifestées avec l’espoir que les tests ADN leur permettent de retrouver la dépouille de leur proche », explique Cristina Palacios Rojí, présidente de l’Association citoyenne contre l’impunité.

Certains militaires ou policiers pourraient être impliqués dans ces disparitions. Selon les estimations des organisations civiles, plus de 3.000 personnes auraient disparu depuis 2006 suite à leur arrestation par des agents de l’Etat ou par des individus agissant avec le soutien de l’Etat. Les corps de certaines victimes de ces disparitions forcées pourraient se trouver dans des fosses clandestines.

Lors de sa dernière visite au Mexique début juillet, Navi Pillay, Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’Homme, s’est d’ailleurs dite préoccupée par les violences commises par les militaires mexicains sous couvert de lutte contre le narcotrafic. Les cas de disparitions forcées, torture, rackets, viols, et assassinats de civils par des soldats se multiplient, a-t-elle estimé. Confiés aux tribunaux militaires, ils restent souvent impunis par ces juridictions frileuses à condamner l’un des leurs.

Un criminologue mexicain souhaitant rester anonyme tempère. « Il n’existe aucune enquête officielle qui prouve quoi que se soit, ces chiffres sont de la spéculation », estime-t-il. « Combien de dénonciations pour disparition sont entre les mains des autorités fédérales et combien ont fait l’objet d’enquête ? C’est peut-être la question clé qui explique qu’il n’y a pas de chiffres concrets ».

« Les autorités ne font pas d’efforts : soit elles sont impliquées, soit elles sont incompétentes », répond la militante Cristina Palacios Rojí. A Durango, les corps ont ainsi été sortis de la fosse à l’aide d’excavateurs mécaniques, rendant nombre de dépouilles inidentifiables.

Pour le journaliste mexicain José Gil Olmos, une chose est sûre : « Les milliers de cadavres découverts dans les tombes clandestines montrent la barbarie avec laquelle agissent les groupes criminels, mais aussi l’impunité avec laquelle ils procèdent, car il n’est pas possible qu’ils assassinent autant de personnes et les fassent disparaître sans que les autorités ne soient au courant d’un tel holocauste« , écrit-il dans une chronique publiée le 6 juillet dernier sur le site de Proceso.

Publié par Léonor Lumineau dans Le Nouvel Observateur, le 21 juillet 2011.

 

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