Olympiades : heurs et malheurs de l’Espace jeune (Le 13 du mois, juin 2013)


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Samedi 30 mars, deux animatrices de l’Espace Jeune Olympiades sont agressées par un jeune usager, provoquant une énième fermeture de la structure depuis sa création en 1995. Ce problème récurrent témoigne de la faillite de la Ligue de l’Enseignement, gestionnaire des locaux, à maintenir à la tête de l’Espace Jeune une équipe d’adultes repères pour les jeunes qui en manquent.

« Tu crois que tu peux jeter un de mes frères ? Tu cherches la guerre ? Ramène la police, je les éclate, et après ce sera ton tour. Je vais t’envoyer dans un fauteuil roulant ». Ce samedi après-midi du 30 mars, c’est en ces termes que Xavier, 19 ans, agresse deux animatrices de l’Espace Jeune Olympiades, furieux qu’elles aient renvoyé l’un de ses amis de la structure. Après cet accès de rage, le jeune homme part, laissant les deux jeunes femmes en état de choc. Car, bien qu’elles travaillent ici depuis seulement trois mois, elles connaissent sa réputation. Xavier n’en est pas à son premier coup d’éclat.

 Si on l’a peu vu sur la dalle, ces derniers temps, c’est qu’il passait deux ans à l’ombre, impliqué dans une tentative de meurtre sur un collégien en 2010. « C’est un habitué de chez nous, affirme le commissaire de police Nicolas Rémus. Il est inscrit dans notre fichier depuis qu’il a 14 ans, et il a une bonne vingtaine de garde à vue à son actif ». Depuis sa levée d’écrous, le jeune, désœuvré, multiplie les frictions avec les salariés de l’Espace Jeune. En janvier, un des animateurs-médiateurs a déjà porté plainte contre Xavier pour insultes sur le lieu de travail et menaces de mort. En février, rebelote, il agresse la responsable du centre et une des animatrices. En un mot comme en cent, Xavier, c’est la terreur du quartier.

 Misère

 « C’est le même refrain depuis des années », se lamente un travailleur social de la dalle. Située au fin fond de la dalle des Olympiades, au rez-de-chaussée d’une haute tour, le local est très enclavé, et connaît depuis sa création en 1995, des assauts et des fermetures répétées. C’est un des seuls endroits où les jeunes du quartiers peuvent encore se réunir au chaud. Cédric Bloquet, directeur des Espaces Jeunes de Paris pour la Ligue de l’Enseignement (LE), brosse le profil du public accueilli par l’Espace Olympiades : « Nous travaillons avec des 10-25 ans, souvent confrontés à la misère sociale et intellectuelle, qui ont des problèmes d’accès à l’emploi et de discriminations ».

Comment un caïd de quartier de moins de vingt ans parvient-t-il à faire régner sa loi sur une structure dépendant de la Mairie du XIII ? « Ces actes sont marginaux. On peut accuser la société, le système scolaire, les familles … Mais la mairie n’est pas responsables des actes de délinquance. Nous avons parfaitement rempli notre rôle », défend Isabelle Gachet, adjointe au maire de Paris en charge de la Jeunesse. La défaite des institutions à faire respecter l’Espace Jeune interroge : où se trouve la brèche dans laquelle ce jeune s’est infiltré ?

 La recette du karting

La crise de mars dernier survient après deux ans d’une relative tranquillité, liés à la présence de Franck Gbalé, un responsable recruté par la LE en décembre 2009. « A l’époque, nous étions une Antenne Jeune, dont les missions étaient d’accueillir, informer et orienter. Or les jeunes étaient en attente de loisirs, condition sine qua non pour ensuite aborder leur orientation professionnelle », affirme l’ancien responsable de l’Antenne. Les jeunes veulent faire du karting ? L’animateur leur propose un projet articulant une séance de prévention routière, un comparatif des prestataires de karting et l’activité elle même. La recette semble fonctionner : « En mai 2010, la paix était instaurée, l’antenne tournait», affirme un partenaire de la dalle. L’Antenne Jeune se développe à tel point qu’elle peut prétendre au statut d’Espace Jeune, doté de missions supplémentaires, comme la proposition d’activités de loisirs.

Les choses se gâtent au moment où la structure change officiellement de statut… et de hiérarchie, en 2012. En avril, la LE remporte le marché de l’Espace Jeune. « En septembre, au moment du changement de statut, nous, salariés de la structure, ne savions toujours pas quelles seraient nos conditions de travail, et le projet pédagogique n’était toujours pas rédigé. Quand la mairie est venue demander des comptes, elle a estimé cette absence de ce document ‘inadmissible ‘», raconte Franck Gbalé. Lui et son équipe tiennent alors la direction de la LE responsable de cette situation. En conflit ouvert avec cette dernière, le responsable écope de trois blâmes pour insubordination avant d’être licencié. « La LE a voulu me faire porter le chapeau du retard qu’avait pris la structure », conclut le travailleur social. Quand Franck Gbalé est remercié, en octobre, l’équipe éclate. Une nouvelle responsable est nommée, sans transition. Et en janvier, deux nouvelles animatrices-médiatrices sont recrutées. Sur la dalle, jeunes et parents d’élèves affichent leur déception. « Franck était plein de projets. Quand il a été licencié, nous avons été choqués, car il était brillant et sympathique. Il faut croire que certains jeunes se sont vengés en semant la pagaille », estime Louisa, mère de deux jeunes habitués de l’Espace Jeune.

Pressions

Le soir du 30 mars, les deux animatrices agressées exercent leur droit de retrait. S’en suivent de longues tractations entre la Mairie, la LE et l’équipe de l’Espace Jeune. A moins d’un an des municipales, la mairie du XIIIe ne peut se permettre de voir la structure fermée pendant trop longtemps. Par ailleurs la LE paye des pénalités pour chaque jour de fermeture. Pour ces raisons, la direction de la LE exerce une pression sur ses salariés pour que l’Espace Jeune rouvre ses portes, alors que les animatrices agressées ont peur des risques de représailles. Avec raison. Le vendredi 26 avril, la structure se remet en marche, malgré les réticences de l’équipe. Le soir même, deux jeunes hommes de la bande de Xavierreviennent dans l’Espace Jeune et menacent l’animatrice agressée par Xavier. Un jeune est mis dehors et revient avec une barre de fer, insultant à nouveau une des animatrices. La réponse est immédiate : mairie, agents de police, cadres de la LE arrivent à la rescousse, et escortent les animatrices jusqu’au métro. La structure ferme à nouveau pendant 15 jours.

Il aura donc fallu un mois pour que la direction prenne la mesure du risque et mute les deux animatrices en interne. A l’Espace Jeune règne un climat d’omerta : aucun des cinq salariés n’ose répondre aux questions du 13 du mois, de peur, cette fois, des représailles de leur direction.

Le 13 mai dernier, l’Espace Jeune a ouvert avec deux vigiles et deux nouveaux animateurs, en attendant l’arrivée, début juin, d’un nouveau responsable. L’espace n’assure plus qu’un service d’accompagnement scolaire en fin d’après-midi. Quant à Xavier, il s’est rendu, le 11 mai, à sa convocation au commissariat. Quelques jours après, il est passé en jugement et a écopé de 10 mois de prison, dont six ferme, et dort en ce moment à Fleury-Mérogis. Pourtant, rien n’est réglé. L’équipe qui prendra son service en juin devra recommencer le travail social à zéro. « Et voir tant d’année de travail foutues en l’air, ça serre le coeur », témoigne un voisin de l’Espace Jeune.

Publié par Elsa Sabado dans Le 13 du mois de juin 2013.

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

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