Quand les villages créent leur mutuelle (Alternatives économiques, janvier 2015)

Les villageois de Caumont-sur-Durance ont été les premiers à négocier une mutuelle santé communale. Dans un contexte de crise et de renchérissement du coût de la santé, cette initiative fait des émules.

Il y a un peu plus d’un an, les habitants de Caumont-sur-Durance se dotaient d’une mutuelle santé à un prix unique : 47 euros par mois et par personne. Sur les 4 642 habitants que comptent le village, 293 ont déjà cotisé. Véronique Debue, maire adjointe aux Affaires sociales, est l’auteur de cette riche idée. « Nous avons réuni un comité de pilotage de Caumontois, puis, nous avons élaboré un questionnaire de diagnostic pour évaluer les besoins des habitants, et organisé des réunions publiques », raconte fièrement l’édile. Après un an de travail, la mairie de Caumont a négocié avec la Mutuelle générale d’Avignon le contrat Azalé, qui rembourse les prothèses dentaires à 300% et couvre les dépenses d’optique à hauteur de 300 euros par an, grâce à un partenariat avec l’opticien de Caumont.

Cette initiative a fait des émules dans toute la France. Créon, Coutras, La Bastide Les Jourdans, Saint Lô, Etel, Mornant, Loudun…De nombreux maires en ont même fait une promesse de campagne aux municipales de 2014, comme Guy Hercend, maire d’Etel, une station balnéaire du Morbihan : « Ma commune compte surtout des jeunes retraités qui ont vu leurs cotisations exploser et qui veulent défendre leur pouvoir d’achat ». Sur une population de 2 917 habitants, 180 ont rendus à la mairie le questionnaire de diagnostic.

De plus en plus de “sans-mutuelles”

En 2012, 3,3 millions de Français n’avaient pas de mutuelle santé complémentaire, contre 2,8 millions seulement en 2008. Ces « sans-mutuelles » se trouvent au dessus du seuil de ressources requis pour bénéficier de la Couverture maladie universelle1 (CMU), mais n’ont pas les revenus suffisants pour s’offrir une complémentaire santé, et se voient souvent obligés de se priver des soins les plus onéreux. Cette année, entre 9 et 32 % des Français2 déclaraient avoir, en raison de son coût, reporté de plusieurs mois un acte médical ou même renoncé à se soigner.

« A partir de 2011, au CCAS, les demandes d’aide au paiement de complémentaires santé sont devenues de plus en plus fréquentes, raconte Véronique Debue. Pour moi, c’est intolérable, la santé est un droit, pas un luxe ».

L’émergence de cette nouvelle caste est le fruit de plusieurs facteurs. D’abord, l’appauvrissement de la population, conséquence de la crise. « Une partie grandissante de la société est exclue du salariat et ne profite plus des mutuelles d’entreprise », analyse Michel Dreyfus, historien du mutualisme. Ensuite, l‘augmentation du prix des mutuelles, inversement proportionnelle au désengagement de la Sécurité sociale3. « Sans compter la flambée de la fiscalité sur les complémentaires santé, qui est passée de 1,75 % en 2005 à 13,27 % en 2012 », déplore Jean-Martin Cohen-Solal, délégué général de la Mutualité française. Enfin, soumises à une concurrence grandissante des assurances privées , les mutuelles ont adopté certaines leurs méthodes. Ouverture aux domaines de la prévoyance, fusions avec d’autres mutuelles ou assurances pour faire des économies d’échelles… En devenant de véritables business, les mutuelles ont perdu un de leurs atouts aux yeux de leurs adhérents : leur dimension « sociale et solidaire ». Mais, maintenant certaines exigences sociales, elles ne peuvent concurrencer les prix des assurances… Au milieu du gué, elles se retrouvent perdantes sur tous les tableaux.

Si l’émergence des mutuelles de village est un symptôme de la privatisation de la prise en charge des besoins de santé, elle remet au premier plan la solidarité aux origines du mutualisme. « Avec notre prix unique, nous sommes revenus à l’esprit intergénérationnel et interprofessionnel des débuts. Comme au bon vieux temps, où l’on posait un tronc sur le zinc du bistrot et où tous les mineurs cotisaient au même prix, quelque soit leur âge », explique Nathalie Meyer, directrice de la Mutuelle Générale d’Avignon. « Les jeunes Caumontois acceptent donc de payer 10 euros de plus leur mutuelle parce qu’ils savent que leurs parents payent 30 euros de moins. Seule la solidarité permettra de viabiliser la mutuelle», indique Véronique Debue. Autre atout de la mutuelle communale : la proximité, remède à la disparition des services publics dans de nombreux villages. Une permanence est ainsi tenue deux fois par semaine à la mairie.

Ce bel élan des mutuelles municipales a déjà donné des idées aux assureurs privés. Inspirés par l’exemple de Caumont, la Sofraco, groupement de courtiers en protection sociale, a décidé de surfer sur la vague et a mis sur pied un programme baptisé « Ma Commune, ma santé » qui propose aux maires un kit clés en main, afin qu’ils créent leur propre mutuelle locale. Depuis début septembre, 35 mairies de moins de 10 000 habitants ont souscrit à cette offre. « Nous recevons deux à trois nouvelles demandes par jour », raconte Renaud Berezowsky, fondateur de la Sofraco. La logique tranche avec celle, plus égalitaire, retenue à Caumont. Les mutuelles du programme proposent des contrats dont le coût varie selon trois tranches d’âge et trois gammes de couverture différentes, allant de 15 à 108 euros par mois.

L’ANI en embuscade

« Certes, plus il y a de tranches d’âges, moins une mutuelle est solidaire. Mais avec un tarif unique, le ratio recettes sur dépenses sera déséquilibré », pointe Renaud Berezowsky. « Pour l’instant, les gens sont ravis et les prix n’augmentent pas », rétorque Véronique Debue. Nathalie Meyer, de la MGA, partage son point de vue : « Cette année, les comptes n’étaient pas à l’équilibre, car tous ceux qui n’avaient pas de mutuelle auparavant en ont profité pour se soigner. Mais nous faisons un important travail d’éducation : j’incite en particulier les patients à choisir les médecins qui ne pratiquent pas de dépassements d’honoraire ». « La question apparemment technique du prix unique est en réalité un choix éminemment politique», analyse l’historien Michel Dreyfus. Autre différence entre les deux démarches : « Négocier une mutuelle demande une dynamique citoyenne, un rapport de forces… ça ne se fait pas en deux temps trois mouvements », juge Véronique Debue.

Une menace pèse cependant sur l’avenir de ces mutuelles communales. En janvier 2016, l’accord national interprofessionnel (ANI) obligera les employeurs à fournir une complémentaire santé à leurs salariés. « Cet accord va nous priver des adhérents salariés et laissera sur le carreau les retraités, gros consommateurs de prestations, et précaires, à faible revenu », explique Nathalie Meyer. Certains maires essaient d’anticiper ce changement, comme Renaud Pfeffer, maire de Mornant, dans le Rhône, qui propose aux entreprises qui travaillent dans sa commune de bénéficier du tarif de groupe qu’il a négocié. Il espère ainsi que les TPE et les PME de son village se rallieront à la mutuelle communale.

Elsa Sabado et Anna Benjamin

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre


Encadré :

Garantie Santé ACS : une mutuelle par et pour les précaires

« Les entreprises se regroupent pour négocier des tarifs avec les mutuelles. Pourquoi pas les précaires ? » demande Huguette Boissonnat-Pelsy, responsable du Pôle santé chez ATD quart-Monde. En 2011, l’association lance à Nancy un « laboratoire d’idées » pour réfléchir à la question. Les précaires qui le constituent convainquent six mutuelles de devenir partenaires de leur initiative, la « Garantie Santé ACS ». « Il s’agit d’une mutuelle spécialement conçue pour les bénéficiaires de l’ACS (aide complémentaire santé). Elle permet notamment de couvrir les frais d’hôpital et les obsèques, principaux responsable de l’endettement des précaires », explique Huguette Boissonnat-Pelsy. Le « Chèque santé » délivré par l’ACS finance une partie de la mutuelle. Reste à payer pour les adhérents : de 9,57 euros par mois pour les moins de 16 ans à 21,17 euros pour les plus de 60 ans. Après deux ans d’expérimentation, l’initiative a été étendue à toute la France, et comptait 50 000 adhérents en 2013.

1 Pour bénéficier de la CMU, un foyer d’une personne doit gagner au maximum 8643 euros par an, et un foyer de quatre personnes 18153 euros par an.

2 La visite chez le dentiste est l’acte médical le plus repoussé (32 %), avant l’achat de lunettes (28%) et la consultation chez un médecin spécialiste (26%). Seulement 9% des usagers ont affirmé avoir repoussé leur consultation chez le psychiatre ou psychologue. Selon le baromètre IPSOS/Secours populaire du 11 septembre 2014.

3: Si dans les années 1980, elle remboursait 80% des dépenses de santé, aujourd’hui, elle ne prend plus en charge que 55% des frais « courants » de santé (mais continue de rembourser intégralement les affections longue durée)

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