Le sang ne lave pas le sang (Society, mai 2017)

C’est la loi qui le dit. En Iran, en cas de meurtre, la famille de la victime a droit à une compensation équivalente. Souvent, elle choisit la mise à mort. Mais elle peut aussi choisir le pardon, en échange de la diyya, le prix du sang, fixé par la justice. C’est via cette pratique, qui veut que l’assassin rachète son crime, que l’Imam Ali’s Popular Students Relief Society, une association, essaye de sauver les mineurs iraniens condamnés à mort pour homicide. Mais comment convaincre de pardonner?

Etait-il soulagé, euphorique ou simplement heureux? “Je ne sais pas. Je n’arrive même pas à raconter. C’est un sentiment étrange”, balbutie Mahyar. Les souvenirs sont pourtant frais: ce jeune homme de 29 ans est sorti de la prison de Rasht, au nord de l’Iran, il y a à peine deux mois. Son premier geste d’homme libre a été celui d’héler un taxi. Quand le chauffeur s’est arrêté, il lui a pris la main et lui a dit: “Dieu merci, tu es libre”, avant de lui offrir du chocolat. Il lui a demandé combien de temps il avait passé en prison. “Je n’arrivais pas à répondre, raconte Mahyar. J’ai dit: ‘Quelques jours.’ Puis, je n’ai rien dit. Puis, j’ai dit: ‘Douze ans.’” Dans le rétroviseur, le chauffeur a froncé les sourcils. Il a marqué un long moment de silence avant d’oser questionner son passager sur le délit qui l’avait conduit derrière les barreaux. Une question à laquelle Mahyar répond aujourd’hui par: “Une histoire de famille.” À 17 ans, il a branché la gorge de son père, avant de le découper en morceaux pour se débarrasser du corps, qu’il a en partie enterré, en partie jeté dans un caniveau.

Mais au chauffeur de taxi, il a répliqué un laconique: “Meurtre.” Plus tard, en descendant du véhicule, le jeune homme a croisé sa grand- mère. La surprise a été belle que la vieille dame est bombée dans les pommes. Mahyar n’avait prévenu personne de sa sortie. Vite, les retrouvailles se sont chargées d’émotions, de pleurs, de rires. Beaucoup, dans la famille, craignaient de ne jamais revoir le jeune homme vivant: au moment de son crime, alors qu’il était âgé de 17 ans, il avait été condamné à mort.

L’Iran est l’un des derniers pays au monde à exécuter des mineurs délinquants –les filles à partir de 9 ans, les garçons à partir de 15. D’après les données d’Amnesty International, au
moins 73 mineurs condamnés auraient ainsi été mis à mort entre 2005 et 2015, et au moins 160 seraient actuellement détenus dans ce but. Le principe qui guide ces sentences est la qisas, la loi du talion: si une personne en tue intentionnellement une autre, la famille de la victime a droit à une compensation équivalente. Dans le cas de Mahyar, coupable de parricide, ce sont ses tantes paternelles qui ont souhaité appliquer la qisas, en réclamant la mort de leur neveu. C’est là, en général, qu’intervient l’Imam Ali’s Popular Student Relief Society. Pour sauver les jeunes Iraniens de la peine de mort, cette ONG s’appuie sur un autre principe de la loi islamique: la diyya, ou prix du sang. Un prix, fixé chaque année par la justice, en échange duquel la famille endeuillée peut accepter de pardonner le meurtrier, qui rachète alors à travers cette somme d’argent le mal dont il s’est rendu coupable. C’est grâce à cette mesure que Mahyar est encore en vie. Ses tantes ont fini par renoncer à l’exécution de leur neveu, et le jeune homme a été condamné à une amende d’environ 10 000 euros, qu’il a pu payer avec l’aide de l’Imam Ali’s Popular Student Relief Society.

Retrouvez la suite de ce reportage de Margherita Nasi dans le magazine  Society du 24 mai 2017. 

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