Ukraine: une élection perdue d’avance? (Le Pélerin, 2014)

Les Ukrainiens sont appelés à élire leur nouveau président le 25 mai. Mais depuis la révolution de février, les aspirations démocratiques ont laissé place à un conflit ouvert entre le gouvernement de transition favorable à une alliance avec l’Union européenne, et les milices « pro-russes » partisanes d’une sécession et d’un rattachement de la région du Donbass à la Russie.

L’élection présidentielle du 25 mai aura-t-elle lieu ?

 « Les élections auront lieu, mais pas sur tout le territoire…  et la légitimité du nouveau président prêtera le flanc à la contestation », présage Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans. Depuis la chute de l’ancien président, Viktor Ianoukovitch, en février, le pays s’est fissuré, au point que le gouvernement de transition ne contrôle plus l’ensemble du territoire. A l’époque, se dessinait un scénario classique de révolution démocratique : l’oligarque tombé sous les assauts d’un mouvement populaire anti-corruption, le Maïdan, un gouvernement provisoire s’était formé et s’engageait à organiser des élections démocratique le 25 mai. C’était sans compter sur la Russie. Le gouvernement de transition commet une première erreur en annonçant la suppression du russe comme seconde langue officielle de l’Ukraine. La mesure inquiète les populations russophones et donne un prétexte à Vladimir Poutine pour intervenir. A peine la péninsule de Crimée est-elle  annexée que l’agitation  touche les régions de l’est du pays. Des milices pro-russes  se saisissent des institutions publiques de plusieurs grandes villes. En réplique, l’Union européenne interdit à une liste de personnages haut placés russes et ukrainiens de voyager sur le territoire européen, et le gouvernement de transition lance une opération « anti-terroriste ». Des combats sporadiques ont lieu et provoquent de nombreuses victimes. Puis, le 7 mai, les pro-russes, soutenus par Vladimir Poutine, organisent un référendum, portant sur l’autodétermination des « Républiques populaires » de Donetsk et Louhansk, deux grandes villes de l’est ukrainien. Soumise à une intense campagne politique des médias russes, la population de ces régions vote massivement pour l’autodétermination. Au lendemain du référendum, les vainqueurs et Vladimir Poutine annoncent que les élections du 25 mai ne se tiendront ni en Crimée, ni dans les deux nouvelles républiques populaires. Ce qui n’entame en rien la détermination du gouvernement de Kiev, qui refuse toute négociation et a décidé de maintenir le scrutin. 

Le scrutin peut-il  apaiser la crise ukrainienne ?

« Il est trop tard pour que l’élection puisse faire office de baume cicatrisant, juge Jean-Arnault Dérens. Pour sortir de la crise, il aurait fallu qu’un candidat légitime aux yeux des habitants de l’est se présente. Or ce n’est pas le cas. Petro Porochenko, qui part favori dans ces élections, est un oligarque dont la base politique et économique se trouve à l’ouest et au centre du pays». Parmi les vingts candidats en lice à ses côtés, Ioulia Timochenko, pasionaria libérale de la révolution orange de 2004, l’oligarque Serguiï Tiguipko, et l’ancien maire de Kharkiv Mikhaïlo Dobkine, tous deux proches de Ianoukovitch et de Moscou, et les ultra-nationalistes Oleg Tiagnibok (de Svoboda) et Dmytro Iaroch (Pravyi Sektor). Les sondages existants ne créditent aucun d’entre eux de plus de 10%.

« La situation est ouverte, et périlleuse, constate gravement le géographe Jean Radvanyi, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Des gestes forts de la part du nouveau président sur les questions de langue, de fédéralisation, d’autonomie, de neutralité vis à vis de l’OTAN, seraient nécessaires pour rassurer les habitants du Donbass ». Pour Jean-Arnault Dérens, quelque chose de plus grave se joue actuellement : « On assiste à une véritable déliquescence de l’Etat Ukrainien : le président par intérim est très discret, la légitimité politique du premier ministre Arseni Iatsenouk est faible, car il a été élu par les députés qui soutenaient Ianoukovitch et qui ont tout bonnement retourné leur veste. L’Etat Ukrainien est un véritable bateau ivre. On voit mal comme ces élections permettront de redresser la barre et d’éviter le naufrage.»

Quels sont les scénarios envisageables pour l’avenir de l’Ukraine ?

« L’alternative est simple : soit Kiev adopte une position modérée sur fond de concertation entre l’Europe et la Russie, soit on se dirige vers une guerre civile, une partition du pays et un exode »,  avance Jean Ravadnyi. Car la clé du problème semble être entre les mains de l’Union Européenne et de la Russie. Mais un accord paraît peu probable. « La Russie semble hésiter et l’Europe est incapable d’avoir une politique étrangère commune » se désole le chercheur. Jean-Arnault Dérens est  plus sévère encore : « L’Union Européenne, a renoncé à jouer un rôle en Ukraine, parce que les pays membres n’ont pas les mêmes intérêts.  La Pologne voudrait freiner les ardeurs de son voisin Russe, alors que la France maintient la vente de deux navires de guerre à Poutine. Face à la Russie, qui a une politique cohérente et agressive, l’Union européenne a un comportement amateur ».  Et Jean Radvanyi constate amèrement : «  Ce ne sera pas la première fois que l’Europe laisse se développer une guerre civile à ses portes, elle l’a déjà fait en Yougoslavie en 1994». Troisième voie possible : un conflit à bas bruit qui s’étirerait en longueur, et emporterait le pays dans un marasme catastrophique pour la population. Un scénario moins sanglant, mais fort peu encourageant.

Elsa Sabado, publié dans Le Pèlerin du 22 mai 2014

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

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