En Colombie, les habitants du village de Puerto Berrío ont vu tant de cadavres passer sur leur fleuve qu’ils ont fini par les recueillir. Et leur vouer un véritable culte.
C’est la fin de l’après-midi. Sous un soleil encore brûlant, Bertha sort de sa maison. Tranquillement, cette mamie aux cheveux courts frisés traverse la ville à pied pour acheter un bouquet de fleurs artificielles et une banderole violette “Premier anniversaire, José”. Puis elle se rend à sa petite célébration. Une fois devant José, elle lui remet ses présents, lui murmure une prière, tourne les talons. José, lui, reste au cimetière. Il est mort il y a un an, tout juste.
Ce jour-là, Bertha était précisément en visite sur la tombe d’un parent dans le cimetière de Puerto Berrío, petite ville au nord de la Colombie. Et le corps d’un NN (“ningun nombre”, “pas de nom” en français) est arrivé. Elle a décidé de l’adopter, l’a baptisé José, “comme le père de Jésus”. Depuis, il ne s’est pas passé une semaine sans que Bertha ne vienne sur sa sépulture. Bertha ne sait pas grand-chose sur le cadavre emmuré derrière la pierre tombale. “On m’a dit que c’était un jeune homme. Quand il a été enterré, il était en décomposition.” S’occuper de la tombe d’un parfait inconnu lui semble pourtant naturel. Quand elle vient le voir, elle nettoie la sépulture, elle lui parle, lui raconte son quotidien. José est devenu un confident, un membre de sa famille.
Un reportage texte et photos d’Hélène Bielak, publié dans Néon de mars 2013.