Ah! Il arrive, je le reconnais au bruit de ses pas », annonce Zelia Césarion, l’oreille tendue vers la porte entrouverte : Benoist Apparu, député (UMP) de la Marne et ancien ministre du logement, entre dans le bureau quelques secondes après. Pas étonnant, puisque le quotidien professionnel de cette jeune femme souriante de 27 ans tourne autour de cet élu politique. Son métier : assistante parlementaire. Au total, ils sont plus de 2000 comme elle, à œuvrer dans les bureaux de l’Assemblée nationale ou sur le terrain, en circonscription.
« Mes missions sont très variées, ça va du secrétariat de base pour gérer les mails, les appels, l’agenda, aux relations avec les médias et à la rédaction de textes législatifs ou de questions au gouvernement », explique- t-elle, avant de replonger dans son écran d’ordinateur. « Nous sommes aussi
parfois leurs plumes, nous écrivons leur discours, et nous devons donc très bien connaître les dossiers abordés », ajoute Roxane Baux, installée dans le petit bureau, situé une rue plus loin, dans un autre bâtiment, qu’elle partage avec Geneviève Gosselin, député PS de la Manche, quand celle-ci n’est pas sur le terrain. «Mais les tâches varient beaucoup en fonction du député. Certains cantonnent l’assistant parlementaire à un rôle de secrétariat pur, quand d’autres vont jusqu’à leur donner une fonction de conseil politique », précise la jeune femme, elle aussi âgée de 27 ans.
A Paris, ces « petites mains » indispensables aux députés sont plutôt jeunes – entre 25 et 35 ans, même si certains sont plus âgés et occupent cette fonction depuis plusieurs années, diplômés en sciences politiques ou en droit. On trouve aussi parmi eux des ingénieurs ou des historiens. Ils envisagent ce métier comme un tremplin : « Généralement, cette fonction n’est qu’un passage vers autre chose, parce qu’on finit par tourner en rond », explique au détour d’un couloir une collaboratrice qui s’apprête à rejoindre son député dans l’Hémicycle, en ce jour de questions au gouvernement.
Très autonomes – « nos parlementaires ne nous disent pas ce que nous avons à faire le matin», sourit l’un d’eux –, capables de gérer de front de multiples tâches et de grosses responsabilités, fins connaisseurs des rouages de l’institution et possesseurs d’un beau carnet d’adresses, ils ressortent valorisés de cette expérience. Essentiels à la vie de l’Assemblée, mais aussi du Sénat et du Parlement européen où les assistants parlementaires existent aussi, ils restent pourtant méconnus du grand public.
En cause notamment, leur statut juridique flou. Créée en 1975, date à laquelle une enveloppe – son montant actuel est de 9 500 euros mensuels – est attribuée aux députés pour leur permettre d’embaucher jusqu’à cinq personnes, la fonction a profondément évolué sans que le cadre juridique ne change. « Nous continuons à apparaître sur une ligne budgétaire de secrétariat, alors que le terme “as- sistant parlementaire” regroupe des fonctions très différentes, du secrétariat pur au conseiller, et est devenu de plus en plus impropre », explique Alphée Roche- Noël, président de l’Association française des collaborateurs parlementaires (AFCP, droite-centre), qui plaide pour une formalisation des fonctions.
En conséquence, les collaborateurs parlementaires recrutés par le député, sous contrat de droit privé, mais rémunérés sur de l’argent public, n’ont pas de grille salariale. Chaque élu décide de leur rémunération, qui peut varier de 2 000 à 4 000 euros pour la même fonction. Si certains sont bien lotis, d’autres trouvent qu’ils gagnent peu au vu des horaires qu’ils pratiquent et et des responsabilités qu’ils assument.
Mais plus qu’un simple emploi, pour la plupart, ce métier est avant tout une forme d’engagement politique. « Etre assistant parlementaire n’est pas un métier comme un autre. On ne le fait pas sans partager les convictions du député pour lequel on travaille. Il faut vraiment coller avec ses idées, sinon on devient schizophrène. D’ailleurs, la plupart d’entre nous rêvent d’atterrir en cabinet ministériel », assure une collaboratrice parlementaire qui souhaite rester anonyme. « Je ne suis pas militante, je n’ai pas ma carte parce que j’estime que je donne déjà suffisamment au parti par mon travail, explique- t-elle, mais beaucoup le sont. »
C’est par exemple le cas de Gilbert Cuzou, attaché parlementaire de Pascal Cherki, député PS de Paris, pour qui ce métier « est un travail militant, pas alimentaire ». Devenir attaché parlementaire était pour lui la suite logique d’un parcours engagé depuis plu- sieurs années : « J’étais responsable du Mou- vement des jeunes socialistes pendant mon cursus universitaire, avant de me faire re- cruter par un parlementaire que j’ai rencon- tré lors d’une campagne », explique-t-il. A 30 ans, il espère que cette fonction lui per- mettra de continuer dans une carrière poli- tique. «Regarder faire mon député me per- met d’apprendre», assure-t-il.
Thibaut Guignard, assistant parlemen- taire de Marc Le Fur, député UMP des Côtes-d’Armor, est même candidat aux élections municipales en 2014 à Plœuc-sur- Lié (Côtes-d’Armor), après avoir été candi- dat aux élections européennes de 2004 et aux élections cantonales de 2008.
Auprès de son parlementaire, il estime bénéficier d’un bon enseignement: « C’est un moyen de me former sur les dossiers de terrain, de rencontrer des gens et de bien connaître les rouages de notre démocratie, de façon à pouvoir ensuite faire de la politique locale en ayant un réseau national, explique-t-il. Et comme je me présente dans la même circonscription, les électeurs m’identifient à son bilan. » D’ailleurs, de nombreux hommes politiques de premier plan aujourd’hui, comme Xavier Bertrand ou Manuel Valls, ont débuté leur carrière comme collaborateurs parlementaires.
Du coup, dans les bureaux de l’Assemblée comme dans l’Hémicycle, il est rare de sympathiser avec le camps d’en face. « Entre nous – à droite d’un côté et à gauche de l’autre – on se rend beaucoup de services, on va boire des verres, on discute politique. Par contre, on ne parle pas avec le camp d’en face, confie l’assistante parlementaire anonyme. Dans l’ascenseur, on peut même voir qui est de gauche et qui est de droite en regardant qui appuie sur quel bouton », plaisante-t-elle, évoquant l’organisation des bureaux, où les étages sont attribués par courant politique. Un clivage qui se re- trouve même à la cantine, où chacun s’assoit dans son coin. Pas de doute, ils sont à bonne école pour la politique.
Léonor Lumineau