La Cité des femmes (Society, mars 2018)

C’est un village modeste et précieux à la fois. En Colombie, à une heure de route de Carthagène des Indes, la “Ciudad de las mujeres” tente d’offrir aux femmes, souvent victimes de violences sexuelles, un cadre de vie décent. Mais dix ans après sa création, rien n’est encore simple. 

Il y a des compliments qu’Olga Orrego n’apprécie pas. Elle ne fait ainsi pas partie de ces personnes flattées lorsqu’on leur dit qu’elles ne font pas leur âge. Pourtant, Olga porte bien ses 60 ans. Sa peau est mate et lisse, ses cheveux longs et épais. “C’est parce que je n’ai jamais eu d’enfants, je ne peux pas en avoir”, annonce-t-elle d’emblée, avant de dérouler son histoire sans même qu’on la lui demande. Olga est née à Carepa, une ville de la région d’Urabá, une des plus affectées par la violence en Colombie. Au cours du conflit qui a déchiré le pays durant 50 ans, cette zone stratégique, nichée entre l’Atlantique et le Pacifique, proche du canal de Panama, riche en ressources naturelles, est convoitée par la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), les paramilitaires et les narcotrafiquants. Une vraie poudrière qui explose dans la vie d’Olga en pleine nuit, à 4 heures du matin. Elle a alors 20 ans. “Des paramilitaires sont entrés dans la maison. Ils m’ont bâillonnée pour m’empêcher de crier, et ont tué mon compagnon sous mes yeux. Pendant qu’un me tenait par les bras, l’autre pointait un revolver sur ma tempe, et le troisième me violait. Ils se passaient le relais. Puis ils m’ont dit de quitter le village car si je racontais ce qui s’était passé, ils reviendraient me tuer”. Olga s’exécute. A sa mère, elle ne raconte rien, demande seulement de la serrer dans ses bras. Puis elle part, loin. 

A l’image d’Olga, 6,9 millions de personnes ont été obligées de fuir pendant le conflit armé en Colombie, pays qui connaît un des taux de déplacement forcés les plus élevés au monde. Comme Olga, elles échouent souvent dans les bidonvilles des centres urbains. “Je me suis prostituée, et j’ai contracté des maladies vénériennes qui m’ont rendue stérile. Je ne faisais que boire et pleurer. J’ai passé 15 ans sans raconter à personne ce qui s’était passé”. C’est sans compter sur sa rencontre avec la Liga de Mujeres Desplazadas (LMD). C’est grâce à cette association montée par des femmes qui, comme elle, ont tout perdu, que le parcours d’Olga prend un autre tournant. Suivie par un psychologue, la jeune femme arrête l’alcool, et la prostitution. Au contact d’une avocate, elle retrouve la parole, et les bons mots : elle n’est pas coupable mais victime, et le terme “déplacement forcé” décrit parfaitement son vécu. Le projet féministe de l’association culmine, en 2007, avec la création de la “Ciudad de las Mujeres”, une cité entièrement construite et gérée par une centaine de femmes victimes des déplacements forcés. Une parenthèse heureuse dans une Colombie ravagée par le conflit, qui a des échos jusque dans la capitale, où des chercheurs de l’université de Bogota souhaitent reproduire l’initiative ailleurs dans le pays.

 

Lire la suite du reportage de ce reportage de Margherita Nasi et Léonor Lumineau dans le n°76 du magazine Society.

 

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