L’instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le pouvoir pousse de jeunes Turques à s’engager pour défendre leurs proches et tenter de résister à l’arbitraire.
Embrasser la carrière d’avocat en Turquie a tout du sacerdoce à l’heure où la société est gagnée par un profond sentiment d’impuissance voire de défiance envers le système judiciaire. Pour les jeunes recrues, comme Mina Şık, 24 ans, qui vient d’être reçue au barreau d’Istanbul, l’écart qui existe entre la théorie du droit et sa pratique est considérable.
« Je terminais mon cursus au moment des procès de Gezi, liés aux soulèvements antigouvernementaux de 2013, et nous étudiions la procédure pénale. Dans la même semaine, on m’enseignait comment cela devait se passer et, quand j’allais assister aux audiences, je voyais exactement l’inverse ! (…) La justice est sans doute l’institution la plus sensible aux évolutions politiques », juge la fille du turbulent journaliste d’investigation devenu député, Ahmet Şık.
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« Tout le monde dit que le procès Ergenekon était compliqué. En réalité, c’était très simple, car il n’y avait aucune preuve ! », se souvient Zeynep Küçük, 55 ans, qui a consacré six ans de sa vie à défendre le cas de son père, Veli Küçük, ancien militaire. Comme Dursun Çiçek et d’autres accusés, il finira par être blanchi en 2019 faute de preuves, après onze ans de procédures. Mais, en dépit des épreuves, Zeynep Küçük veut garder foi dans les institutions du pays : « S’il y a des injustices aujourd’hui, c’est parce que le système a prêté allégeance à un groupe, à une organisation, à une idéologie, à une croyance et a perdu son indépendance. Il est donc indispensable que la magistrature se montre plus courageuse. »
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