J’étais submergée par l’angoisse. Je ne mangeais plus, ne dormais plus, je voulais toujours en faire plus dans mon entreprise, je restais plus tard que les autres », raconte calmement Valérie, 46 ans. Après vingt ans de vie professionnelle sans encombre, elle a fini par faire un burn-out. Depuis, elle a obtenu une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) pour ses troubles anxieux.
Car, depuis 2005, la loi pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées reconnaît les troubles psychiques – schizophrénie, bipolarité, angoisse, dépression, troubles obsessionnels compulsifs – comme pouvant causer un handicap.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, ces maladies qui affectent la personnalité touchent une personne sur quatre dans le monde à une période sa vie. Les progrès des traitements leur permettent désormais de mener une vie professionnelle.
Mais, dans le monde du travail, le sujet est tabou. La grande majorité des malades psychiques sont au chômage. « C’est le handicap le plus redouté des entreprises car le plus difficile à gérer », indique François Atger, directeur de la communication de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
En matière de handicap, l’entreprise s’est focalisée sur l’aménagement. « C’est plus facile d’élargir une porte pour un fauteuil roulant », résume Béatrice Borrel, de l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam).
Or, c’est l’organisation du travail qui est en question. « Les personnes atteintes de troubles psychiques sont plus sensibles au stress et à la tension », détaille Marie-Anne Montchamp, présidente de l’agence Entreprises & Handicap, qui réunit des chefs d’entreprise, et ancienne secrétaire d’Etat aux personnes handicapées. Un salarié bipolaire peut, par exemple, avoir une énergie débordante en début de mois et être abattu à la fin.
MISE À L’ÉCART
Méconnu, le handicap psychique inquiète les employeurs. « Les préjugés types sont la violence, le risque de suicide », énumère Diane Flore Depachtere, dirigeante de DFD consulting, un cabinet spécialisé dans les politiques de diversité. Du coup, la plupart des salariés atteints de troubles psychiques cachent leur situation.
En France, 600 000 personnes seraient touchées par ce type de troubles invalidants, indique l’Unafam. Mais seules 350 000 sont reconnues handicapées, estime l’Insee.
Le risque est la mise à l’écart. La plupart des salariés handicapés psychiques travaillent en milieu protégé, notamment dans les établissements et services d’aide par le travail. Vincent, 41 ans, atteint de psychose, est chroniqueur à Vivre FM, une radio associative consacrée à l’insertion des personnes handicapées. Il n’a jamais travaillé en entreprise classique. « J’imagine que c’est plus administratif, et j’aurais peur de l’incompréhension, explique-t-il. Ici, je ne travaille que l’après-midi, car mon traitement peut causer des troubles du sommeil. »
Dépression, angoisse, anxiété, les entreprises gèrent déjà des salariés atteints de ces troubles psychiques. C’est une cause majeure des arrêts maladie. Mais cette pause indispensable pose problème à long terme. « Plus ça dure, plus les chances de retour au travail s’amenuisent. Les entreprises sont démunies, elles ne savent pas comment faire revenir la personne », note Claire Hatala, docteur en sociologie. Résultat : elles continuent à payer pour s’éviter des soucis.
Pour ces malades, le travail est pourtant un facteur de remise en selle. Valérie, grâce au soutien de l’association Clubhouse Paris, n’a pas renoncé : « Une fois qu’on a trouvé le bon parcours de soin, le bon accompagnement, le retour est possible. La notion de handicap psychique n’est pas définitive. » Après un an d’arrêt maladie, elle prévoit de réintégrer son entreprise à un nouveau poste.
Publié par Léonor Lumineau dans Le Monde Economie, le 12 novembre 2012.