Le porc sur paille, l’autre modèle pour la Bretagne (Alternatives Economiques, juillet 2017)

Un nouveau mode d’élevage porcin a été mis en place, pour des raisons environnementales et économiques.

Réveillés de leur sieste par des visiteurs inhabituels, les cochons de Pascal Pérot, éleveur à Saint-Donan, dans les Côtes-d’Armor, n’ont sans doute pas conscience d’être des privilégiés. Dans cette ferme de 54 hectares, ils grandissent dans des bâtiments ouverts sur l’extérieur, sur de la paille. Cela permet de transformer leurs excréments en fumier. “Je ne voulais pas être montré du doigt comme pollueur et j’étais sensible à la notion de bien-être animal, confie le maître des lieux, qui a repris la ferme en 2000.

En France, 95 % des porcs sont au contraire élevés sur caillebotis, un sol ajouré, en béton ou en plastique, qui permet l’évacuation rapide de leurs déjections, le lisier. Epandu sur les terres de culture pour les fertiliser, ce dernier nourrit depuis longtemps la critique du modèle d’élevage breton. La région concentre 57 % du cheptel français. Mais les cochons, parqués dans des bâtiments, sont invisibles. En revanche, cet élevage intensif est à l’origine de la pollution des eaux et des marées d’algues vertes, bien visibles, qui affectent le littoral. En cause, les nitrates dérivés de l’azote du lisier (des porcs, des bovins et des volailles), qui contaminent les cours d’eau et les nappes phréatiques.

Entre le conventionnel et le bio

Polluant, ce modèle met aussi régulièrement des éleveurs dans la rue, lorsque le prix du porc ne leur permet plus de vivre de leur travail. C’est ce qui a conduit l’association bretonne Cohérence à réfléchir à un modèle alternatif. Cofondée en 1997 par Jean-Claude Pierre (le créateur de l’association Eau et rivières de Bretagne, qu’il a quittée depuis) et des paysans du Réseau agriculture durable (aujourd’hui réseau Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, Civam), elle regroupe défenseurs de l’environnement, agriculteurs, syndicats, entreprises et particuliers. Au début des années 2000, ce réseau développe un cahier des charges pour un élevage de porcs durable.

Ses piliers : des cochons élevés sur de la paille, bénéficiant d’une surface minimale de 1,5 mètre carré par tête, soit le double du minimum réglementaire pour les porcs de moins de 110 kilos. Le cahier des charges n’impose en revanche pas l’accès des porcs à l’extérieur, obligatoire dans le cadre des labels “porcs fermiers” élevés en plein air Label rouge et pour l’élevage biologique, qui peut se faire en plein air ou avec des bâtiments prévoyant une aire d’exercice en extérieur. Leur alimentation doit être sans organismes génétiquement modifiés (OGM). Les traitements antibiotiques préventifs sont interdits.

Enfin, lors de l’épandage du fumier (composé de la paille et du lisier), les éleveurs doivent respecter un apport d’azote plafonné à 80 % du seuil réglementaire (140 unités d’azote par hectare, contre 170 sinon). Utile au bien-être des cochons, pour lesquels fouiller et jouer sont des activités naturelles, la paille présente l’avantage de résorber une partie de l’azote présent dans leurs déjections en les compostant. L’utilisation de cet engrais solide, plutôt que le lisier, limite de plus les risques de ruissellement.

Le cahier des charges intègre en outre une cinquantaine de critères sur lesquels les éleveurs s’engagent à progresser. L’utilisation d’une alimentation produite à la ferme est ainsi conseillée sans être impérative, ce qui est le cas en élevage biologique. L’objectif ? “Proposer une alternative durable, accessible au plus grand nombre, justifie Jean-Bernard Fraboulet, chargé de mission porc durable chez Cohérence. La filière porcine française étant très industrialisée, les conversions d’exploitations conventionnelles vers le bio sont difficiles. “Les ateliers sont trop gros, trop hors-sol, alors que le bio suppose une alimentation produite sur la ferme et un accès à l’extérieur que les bâtiments conventionnels ne permettent pas. Pour développer le bio, on mise plutôt sur de nouvelles installations”, explique Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab). En 2016, les élevages biologiques ne représentaient que 0,94 % des exploitations porcines, selon la plate-forme Agence Bio. Quant au label rouge, il concernait 3,3 % seulement de la production nationale en 2014, dont 83 % des élevages en bâtiment, selon l’Institut français du porc (Ifip).

Onze exploitations certifiées

Sur leur ferme de 48 hectares, près de Dinan, Pascal et Sylvie L’Hermitte cultivent colza, céréales et légumineuses pour nourrir les 1 100 porcs qu’ils produisent chaque année. Pour protéger leurs cultures, ils misent sur des techniques naturelles, tout en gardant la possibilité de les traiter si besoin. A terme, le couple vise les 1 500 porcs par an, pas plus. Cohérence, qui défend un élevage familial, limite d’ailleurs la production selon le nombre d’actifs par ferme. Les exploitations spécialisées dans l’engraissement comptaient en moyenne 875 places en 2010, selon l’Ifip, contre 500 places occupées chez les L’Hermitte. Les producteurs adhérents sont certifiés tous les deux ans, dans le cadre d’audits participatifs réalisés lors de journées portes ouvertes dans les fermes.

Aujourd’hui, onze exploitations sont certifiées, surtout dans les Côtes-d’Armor. Produire de cette façon génère du travail supplémentaire pour pailler les enclos et les nettoyer. Cela a aussi un coût. La chambre régionale d’agriculture de Bretagne a chiffré le surcoût de l’élevage sur paille à 0,16 euros par kilo de carcasse produit, soit environ 10 % en plus par rapport au porc sur caillebotis. “Cela s’explique par le coût de l’achat de paille, et parce que les porcs dépensent plus d’énergie et ont une croissance un peu moins rapide, explique Brigitte Landrain, cheffe du service Elevage à la chambre régionale. Chez les éleveurs Cohérence, les porcs partent ainsi à l’abattoir quand ils ont entre 190 à 210 jours, contre 180 en conventionnel. Le gage selon eux d’un cochon en bonne santé et d’une viande de meilleure qualité.

Circuit court

Pour assurer la viabilité économique de ce modèle, l’association a cherché de nouveaux débouchés pour ses producteurs, dont une majorité propose sa viande en vente directe. Les boucheries-charcuteries locales sont particulièrement ciblées. En 2012, Cohérence dépose donc la marque “Porc authentique élevé sur paille”, dédiée à la vente chez ces artisans. Ils sont quatre éleveurs aujourd’hui à travailler sous cette marque et à fournir une trentaine de boucheries (les autres éleveurs font de la vente directe). C’est aux éleveurs de se constituer une clientèle directe. “Je produis ce que je peux vendre. Alors que dans le modèle conventionnel, on est toujours incités à produire plus, sans garantie de débouchés. Résultat : les prix s’effondrent, argumente l’éleveur Pascal Pérot.

La paie des producteurs de la filière porcs sur paille n’est, elle, pas soumise aux aléas du marché. Ils travaillent avec un prix fixe négocié chaque année avec les bouchers partenaires. Ces derniers aussi y trouvent leur compte. “La viande se conserve bien, tient mieux à la cuisson et les consommateurs voient la différence sur le plan gustatif, assure Guillaume Corduan, gérant de la boucherie-charcuterie-traiteur éponyme, à Hillion, au bord de la baie de Saint-Brieuc. Bien sûr, je paie le porc 2,70 euros le kilo et, pendant la crise en 2015, il devait bien avoir 70 à 80 centimes de différence avec une viande même labellisée, mais au moins l’éleveur peut vivre de son travail.”

Dans sa boutique, le porc sur paille est aujourd’hui environ 15 % plus cher que celui qu’il propose lorsque son stock est écoulé. Pourtant, des consommateurs viennent ici spécifiquement pour cette viande produite localement, que Pascal Pérot livre lui-même. Après quatre ans à travailler ainsi, il dresse un constat positif. “Si j’étais resté dans le modèle standard, avec la dernière crise, je disparaissais. Grâce au prix fixe, j’ai pu recommencer à faire des projets et la banque m’a fait confiance pour investir dans le camion frigorifique et la bétaillère nécessaires pour transporter mes porcs”, détaille-t-il. Pascal et Sylvie L’Hermitte écoulent 40 % de leur production en boucherie, le reste étant proposé aux particuliers à la ferme et sous forme de colis, ou servi dans des cantines du secteur. A deux, ils s’en sortent avec un résultat avant impôt de l’ordre de 30 000 euros par an. En 2015, année de crise, ce résultat était en moyenne de 13 000 euros par actif dans les exploitations porcines françaises, une filière aux résultats très fluctuants.

A l’avenir, l’association aimerait développer la filière sur l’ensemble de la Bretagne. Si de nouveaux éleveurs sont intéressés, intégrer la filière reste un pas à franchir. “Tous ne sont pas prêts à tourner le dos au fonctionnement des groupements”, constate Jean-Bernard Fraboulet. L’année dernière, 1 700 carcasses ont été vendues dans le cadre de la filière porc sur paille. Cette production reste donc très marginale au regard des quelque 13 millions de porcs (soit 1,1 million de tonnes équivalent carcasse) abattus en Bretagne. Mais pour les éleveurs, faire vivre une filière alternative locale est déjà une victoire. “Notre modèle n’est pas reproductible à tout le monde, estime Pascal L’Hermitte. Mais la production dans son ensemble doit évoluer et nous sommes des locomotives.”

 

ZOOM La filière porcine en difficultés

Dans la campagne française, les éleveurs porcins reprennent leur souffle. Depuis juin 2016, les cours du porc évoluent de nouveau au-delà des 1,40 € le kilo, leur seuil de rentabilité. Fin 2015, ils étaient descendus sous les 1,20 € le kilo. C’est à la Chine, que l’on doit ce sursaut. Le pays a augmenté ses importations depuis l’Europe (+110 % sur un an en 2016) alors que sa propre filière porcine connaît une restructuration.

Le marché du porc est en effet globalisé et le prix payé aux éleveurs fonction de l’offre et de la demande mondiale. C’est ainsi l’embargo russe, en 2014, qui a précipité la crise de 2015.

Mais leurs difficultés sont aussi structurelles. Ils sont en concurrence avec leurs voisins européens. Avec 2 millions de tonnes de carcasses de porcs charcutiers produites en 2016, la France est le 3ème producteur européen, derrière l’Allemagne, qui a produit 5,5 millions et l’Espagne, 4 millions. Or, la filière française a connu une crise de croissance et d’investissement après l’instauration, en 1998, de règles encadrant le développement des élevages pour réduire leur impact environnemental. Au même moment, les élevages et abattoirs allemands se sont modernisés et concentrés, baissant leurs prix de production. Ils ont également recours aux travailleurs détachés, une main d’œuvre moins coûteuse venue des pays de l’Est, et profitaient jusqu’en 2014 d’une absence de salaire minimum. Le coût de la main d’œuvre est aussi moindre en Espagne et les éleveurs plus protégés. Ils travaillent en majorité sous contrat avec des entreprises agroalimentaires qui leur assurent un prix fixe. En France, le prix payé aux éleveurs évolue au gré des semaines,  en fonction de la cotation au Marché du porc breton.

Avec des bâtiments d’élevage vieux de 20 ans en moyenne, de petits abattoirs comparés à leurs concurrents européens, la filière française est donc désavantagée sur un marché du porc peu segmenté. « Pendant longtemps sa stratégie exclusive a été d’offrir une production standard, au prix le plus bas, même si des tentatives de différenciation existent aujourd’hui », explique Michel Rieu, économiste à l’Institut du porc. Elle souffre également des divergences d’intérêts entre ses acteurs. Si quelques initiatives ont vu le jour, comme des contrats tripartites entre distributeurs, abatteurs-transformateurs et producteurs, l’amélioration de la situation des éleveurs français reste en grande partie soumise aux évolutions de la demande internationale.

 

Un reportage de Marion Perrier publié dans le numéro 370 (juillet-août 2017) d’Alternatives Economiques.

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