Guides officiels et accompagnateurs officieux se battent pour séduire les 29 millions de touristes qui visitent la capitale chaque année. Etat des forces.
Parapluie, drapeau ou gilet coloré, chacun sa technique pour être repérable. C’est qu’ils sont nombreux, en cette journée, devant Notre-Dame de Paris. Cet étrange ballet, c’est la ronde des guides et de leurs groupes. Il y a ceux qui voyagent en bus et qui les accompagnent tout le séjour, ceux qui viennent juste chercher ici leurs clients pour les emmener plus loin, ceux qui font des «tours gratuits» ou encore ceux qui s’apprêtent à entrer dans la cathédrale pour conter 850 ans d’histoire.
C’est que, avec 29 millions de touristes ayant visité Paris en 2012 selon l’office du tourisme de Paris, le marché du guidage touristique dans la capitale a du potentiel. La Fédération nationale des guides-interprètes et conférenciers (FNGIC) estime qu’entre 800 et 1.000 détenteurs de la carte professionnelle y officient, en direct ou via des prestations pour des tour-opérateurs. Mais impossible de savoir combien travaillent sans ce document. Car en France, si ce sésame obtenu sur diplôme universitaire et examen est obligatoire pour guider dans les musées nationaux ou les monuments, il ne l’est pas à l’extérieur.
Sur ce marché libre d’accès, le nombre de «guides–accompagnateurs», comme on les appelle, est inconnu. «Nous observons juste que depuis cinq ans les petites entreprises qui proposent des tours de ce type, notamment pour visiter des quartiers, se multiplient», note Sophie Monbeig, secrétaire générale de la FNGIC.
Et pour cause : la demande est forte. En 2007, Fabien D’Amato, alors chargé de recrutement en SS2I, a lancé des visites guidées de Paris en Citroën 2CV. «Nous avons commencé avec une voiture, rachetée moins de 1.000 euros et retapée par un mécanicien. Au bout de huit mois, nous avons pu embaucher», se souvient le patron de 28 ans. Aujourd’hui , Paris Authentic propose par exemple une balade romantique de deux heures à 179 euros, ou un tour de nuit à 99 euros l’heure. Ses trente 2CV sortent entre 400 et 900 heures par mois et lui ont permis de réaliser 500.000 euros de chiffre d’affaires en 2013.
Dans un autre registre, Jean-Philippe Delsuc, 27 ans, et son frère Jean-Baptiste, 29 ans, ont aussi de quoi se réjouir. Lancée à l’été 2012, Blue Bike Tours , leur entreprise de visite de Paris en vélo, est un succès. «Dès juin, nous arrivions à avoir jusqu’à 30 clients par jour», explique le cadet. Aujourd’hui, l’ancien gestionnaire de patrimoine et le diplômé de chimie «vivent de leur activité et ont recruté quatre personnes.». Car, à partir de 29 euros le tour de quatre heures et jusqu’à sept sorties par jour, Blue Bike Tours prévoit plus de 400.000 euros de chiffre d’affaires en 2013. Du coup, on trouve aujourd’hui des tours pour tous les goûts : à scooter, à Segway, sur le Paris criminel, secret, culinaire ou des meilleures photos…
Pour démarcher la clientèle, leur paradis s’appelle Internet. «Sans vélo, on ne fait pas de tours, mais sans Internet on en fait encore moins. Nous avons donc investi dès le début 5.000 euros pour créer un site», résume Jean-Philippe Delsuc. Fabien D’Amato s’est aussi tourné vers les sites spécialisés ( Getyourguide.fr , Isango.fr ,Francetourisme.fr ), à qui il verse «une commission de 10 à 25% sur les places vendues», explique-t-il. Sans compter TripAdvisor, qui a l’avantage d’être gratuit. «Nous y avons créé une fiche dès le mois suivant notre lancement», se remémore Jean-Philippe Delsuc. Aujourd’hui Blue Bike Tours est numéro 1 sur 408 dans la catégorie Attractions à Paris. «Un vrai plus», pour le jeune patron, dont l’offre se retrouve même au-dessus de Cityrama ou des Bateaux-Mouches.
Un succès qui fait grincer des dents les guides détenteurs de la carte. «Les visites avec des personnels sans carte sont une concurrence directe», s’alarme Valérie Gueye, guide conférencière, qui souligne «des prix cassés». Car avec leurs tarifs plus élevés, les guides professionnels ont du mal à attirer les touristes au budget resserré. «Notre carte est gage de nos compétences, nous avons été formés avec des cours d’histoire de France, de langues, de techniques pour maîtriser la logistique, les horaires, savoir lire une carte, estimer son temps et s’adapter au public», souligne-t-elle.
«Les visites par des guides non qualifiés peuvent être très bien, mais il n’y a aucune garantie. Parfois, le contenu est affolant», alerte Sophie Monbeig. «Heureusement que nous gardons les musées et les monuments», souligne-t-elle. Et encore : la guerre des guides s’invite parfois dans ces lieux, même si ces derniers ont renforcé les contrôles ces dernières années. «Les grands musées ne peuvent pas s’amuser à contrôler tous ceux qui parlent devant une œuvre. Les fraudeurs sont facilement repérables quand le groupe est important, mais pour les petits, c’est difficile», explique-t-elle.
Tous ont pourtant une inquiétude commune : les tours gratuits, qui se multiplient à Paris depuis deux ou trois ans. Proposés par une petite dizaine de sociétés comme Sandemans ou Discover Walks , leur secret est simple : leurs guides, généralement auto-entrepreneurs, se rémunèrent uniquement sur les pourboires. Pour Alexandre Gourevitch, cofondateur de Discover Walks, «cela répond à une vraie demande car nos clients n’ont quasiment jamais suivi de visite payante et n’en auraient pas fait».
En échange de l’apport de clients, l’opérateur demande une commission. «Nos guides sont des indépendants qui nous paient pour commercialiser leurs visites», explique Sandemans New Europe Tours. Et même lorsque le guide n’a pas reçu de pourboire. Autant dire que certains touristes sont plus prisés que d’autres : «Un couple d’Américains donne en moyenne 23 euros. Contre 5 euros pour un couple d’Indiens», détaille un guide, qui estime gagner en moyenne entre 35 et 40 euros sur une visite d’1 heure 30.
«C’est de la concurrence déloyale et, pour certains, à la limite de l’emploi dissimulé», s’agace Marie-Christine Boully-Demange, directrice des professionnels parisiens à l’office du tourisme de Paris. L’organisme refuse donc de les référencer sur son site. Mais les touristes, eux, les plébiscitent. Car, à ce prix, ce sont des guides qu’ils ne sont pas près d’oublier.
Publié par Léonor Lumineau dans le hors série de Capital de février 2014.
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