Jack Ma a fondé Alibaba à l’époque où la Chine ne connaissait pas Internet. Aujourd’hui, son groupe d’e-commerce est n° 1 mondial en nombre d’utilisateurs.
Son nom ne vous dit peut-être rien. Mais en Chine, son pays d’origine, il est aussi célèbre que Steve Jobs, le fondateur d’Apple. Sans compétences en informatique, Jack Ma a fondé en 1999 ce qui est devenu un empire de l’e-commerce : l’ensemble des transactions réalisées chaque année sur les sites d’Alibaba représenterait 2,5% du PIB chinois. A tel point qu’aujourd’hui Alibaba.com fait trembler les géants eBay et Amazon, ses concurrents directs ! Certes, pour l’instant, 90% de son business se fait en Chine (300 millions de clients). Mais Jack Ma est ambitieux : au dernier forum mondial de Davos, ce petit homme de 1,62 mètre à l’allure frêle et au visage anguleux a assuré vouloir mondialiser son entreprise et vise les deux milliards d’utilisateurs.
Un site créé pour aider les entreprises chinoises à se développer
Le site historique, Alibaba.com, met en relation des PME et des acheteurs. Un modèle que Jack Ma a décliné pour les particuliers, avec Taobao.com (CtoC), et pour les grandes marques, avec Tmall.com (BtoC). L’ensemble des transactions effectuées chaque jour sur Alibaba Group dépasserait les ventes d’eBay et d’Amazon réunies ! En 2013, le groupe a annoncé un chiffre d’affaires de 4,7 milliards de dollars pour un résultat net de 1,35 milliard. Et en septembre 2014, il a réalisé la plus grosse entrée en Bourse de l’histoire en levant 25 milliards de dollars à Wall Street.
Pourtant, rien ne prédisait à Jack Ma ce formidable destin. Le petit Ma Yun, de son véritable nom, naît le 10 septembre 1964 au sein d’une famille d’artistes de pingtan (art traditionnel mêlant comédie, chants et instruments), à Hangzhou, au sud-ouest de Shanghai. Il raconte que c’est grâce à l’un de ses professeurs, qui, au moment du retour des touristes étrangers à la fin de l’ère Mao, aurait insisté sur l’importance de savoir parler anglais, qu’il se passionne pour cette langue. Le petit Jack achète alors un transistor pour écouter des émissions anglophones et propose ses services de guide devant les hôtels de Hangzhou. A 24 ans, il est diplômé d’anglais d’un petit établissement de sa ville et commence à enseigner.
Jack Ma découvre Internet en 1995, lors d’une mission de traduction à Seattle. «Je n’avais jamais touché un clavier avant, je n’avais jamais utilisé un ordinateur. J’ai demandé : “Qu’est-ce qu’est Internet ?” et l’ami avec qui j’étais m’a dit “Tu peux y chercher ce que tu veux”», raconte-t-il dans un documentaire de la chaîne américaine CBS qui lui est consacré. Il aurait ensuite recherché sur Yahoo les mots clés «bière» et «Chine», sans succès. «Je suis rentré à Hangzhou en disant que je voulais faire quelque chose appelé Internet.» Après deux échecs, il réussit à convaincre 17 amis d’investir 60.000 dollars et crée Alibaba.com dans son petit appartement. Sans avoir jamais écrit une ligne de code de sa vie ! «La technologie n’est pour lui qu’un moyen d’atteindre une fin : aider les millions de PME chinoises à se développer», explique Angela Y. Lee, professeur de marketing à la Kellogg School of Management.
Quelles sont les recettes de cet homme peu doué à l’école et dénué de toute connaissance en informatique ? «D’abord il pense “en dehors de la boîte” tout le temps. Bien sûr, ce n’est pas suffisant, mais son attitude positive et sa persévérance sont des éléments clés pour concrétiser ses idées», souligne Angela Y. Lee. Ainsi, pour convaincre les particuliers chinois d’utiliser Taobao, il a créé Alipay, une solution de paiement en ligne sécurisé. Jack Ma, qui a quitté en 2013 son poste de directeur exécutif pour se consacrer à la présidence du conseil d’administration, est aussi un féroce compétiteur. C’est au début des années 2000 qu’il a créé Taobao pour déclarer la guerre à eBay sur le marché chinois. Malgré les commentaires alarmistes, il s’acharne à laisser son service gratuit quitte à perdre de l’argent, tandis qu’eBay reste payant. Jusqu’en 2006 où Alibaba remporte la bataille avec le retrait de l’américain.
Businessman mais aussi joyeux drille surnommé Crazy Jack
Outre son incroyable sens du business, c’est aussi sa personnalité excentrique qui fait de Jack Ma, 50 ans, une star en Chine. Car celui que ses employés surnomment «Crazy Jack» adore faire le show. Pour les 10 ans du groupe en 1999, il a ainsi chanté sur scène «Can you feel the love tonight» déguisé en rock star punk des années 80 – crête sur la tête, piercing au nez et rouge à lèvres noir – devant 20.000 employés. Il organise aussi des mariages de masse pour ses salariés avec scène rose, cœurs à gogo et écran géant. «La vie est si courte, si belle – ne soyons pas si sérieux au travail, aimons la vie», explique-t-il dans le documentaire de CBS.
L’homme a ses parts d’ombre, bien sûr, et garde en tête ses intérêts. Lorsque Yahoo (alors actionnaire d’Alibaba) a fourni aux autorités chinoises des informations qui ont valu au journaliste chinois Shi Tao d’être envoyé en prison, il a défendu la firme américaine en affirmant qu’il aurait fait la même chose. Yahoo s’est ensuite excusé… Jack Ma, lui, a toujours entretenu des relations cordiales avec les autorités chinoises, conscient qu’il a les mains liées sans leur soutien. Mais depuis le début de l’année, il y a de l’eau dans le gaz : les autorités de régulation accusent Alibaba de laisser certains vendeurs distribuer des produits de contrefaçon et de fermer les yeux sur les pots-de-vin touchés par des employés pour faire remonter les produits dans le moteur de recherche. S’agirait-il de contrôler l’expansion fulgurante du groupe ?
Ces démêlés n’empêchent pas Jack Ma de continuer à voir grand. Après avoir conquis le marché national, l’ex-prof d’anglais se tourne désormais vers l’Occident. En mars 2015, Alibaba a inauguré un data center en Californie, se positionnant ainsi hors de ses frontières sur un marché ultraconcurrentiel où s’affrontent déjà Microsoft, Amazon et Google. Le même mois, lors d’un entretien officiel avec François Hollande à l’Elysée, Jack Ma a confirmé l’ouverture d’une ambassade d’Alibaba à Paris. Sa nouvelle idée est d’aider les PME françaises à exporter en Chine grâce à son site. Un marché énorme. Et qu’il connaît bien…
ALIBABA EN TROIS DATES
1999 : Création du site par Jack Ma et 17 associés.
2003 : L’épidémie de Sras booste les affaires du site.
2014 : Entrée du groupe en Bourse, à Wall Street.
Léonor Lumineau
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