Paradoxe de l’époque: alors que depuis la pandémie, la mort rôde partout autour de nous, les cimetières sont devenus, à la faveur des confinements, des lieux de balade et de sociabilité particulièrement prisés. C’est notamment le cas du plus grand d’entre eux, le Père-Lachaise à Paris, “44 hectares de liberté”. Visite guidée.
“Nous vivons des temps acomoclites.” Prononcé d’une voix douce et grave, avec le soin que l’on réserve à un décasyllabe, l’énoncé sème le trouble dans le public. “Il s’agit, mesdames, de l’amour des pubis glabres”, complète, sans rien perdre de son sérieux, Bertrand Beyern. Masque rouge assorti à son écharpe, l’avenant quinquagénaire plonge sa main dans un attaché-case noir. Il en sort une photo. “Je peux vous assurer que ce n’était pas du tout le cas au début du siècle”, s’amuse-t-il en dévoilant l’image. Nue, Nusch Éluard, icône du surréalisme, peinte par Picasso et photographiée par Man Ray, y exhibe un sexe broussailleux. Un “ooooh” hilare secoue l’auditoire. Le guide déroule alors l’histoire de la muse et deuxième épouse de Paul Éluard, à l’issue tragique: “Le 28 novembre 1946, à 40 ans seulement, elle s’écroule sur un trottoir parisien, victime d’une hémorragie cérébrale. Accablé, le poète écrira: ‘Mon amour si léger prend le poids d’un supplice.’” Un autre “ooooh”, ému cette fois-ci, s’élève du côté des spectatrices. “Pas plus qu’ils ne vieilliront ensemble, ils ne reposeront côte à côte. Nusch a demeuré seule”, conclut l’orateur devant une stèle vierge de dates. “Tout va bien, pas trop froid?” s’enquiert-il, avant de s’enfoncer dans le dédale de sépultures et chapelles du Père-Lachaise. Au temps du Covid-19, les tombeaux remplacent les tableaux et la taphophilie (la passion pour l’art funéraire) est à son apogée. Les lieux culturels étant fermés, on se retrouve au croisement de l’histoire et de l’anecdote: dans les cimetières. À Paris, les “safaris nécropolitains” de Bertrand Beyern affichent complet.
Retrouvez l’article de Margherita Nasi dans Society