De plus en plus réalistes pour les passionnés, les jeux de demain seront aussi plus simples pour séduire la masse des joueurs sur mobile.
Arme en joue, vous avancez à petites enjambées dans un couloir sombre. Votre lampe balaie le papier peint délabré qui sent le moisi. «A table !» De vieilles photographies parsèment le sol. «A table, s’il te plaît !» D’un coup, le vieux plancher en bois se dérobe sous vos pieds, vous vous sentez tomber, vous agitez les bras pour vous rattraper.
«Game over.» «A taaaaaable, j’ai dit !» «Ouiiiiiii !», hurlez-vous en appuyant sur le signe incrusté dans votre bras. Vous ouvrez les yeux, enlevez votre casque et les électrodes, et prenez quelques secondes pour vous remettre de vos émotions… Se sentir réellement immergé – odeurs, équilibre, sensations, vue, sons – dans un jeu vidéo reste encore du domaine du fantasme. Mais dans ce secteur où l’innovation permanente est une condition de survie, les rêves d’aujourd’hui deviennent rapidement les réalités de demain.
En mars dernier, une nouvelle a ainsi agité le monde des «gamers» : Facebook a racheté pour 2 milliards de dollars Oculus VR, une start-up californienne qui développe des casques de réalité virtuelle, plongeant l’utilisateur dans un monde parallèle. Quelques jours avant, Sony avait dévoilé Morpheus, un objet similaire qu’il développe pour sa PlayStation 4. «Le fait que ces deux géants s’intéressent à cette technologie montre qu’une utilisation grand public est de l’ordre du possible», analyse Olivier Bal, rédacteur en chef de «Jeux vidéo Magazine».
«Aujourd’hui, le joueur souhaite des univers immersifs, explique Emmanuel Carré, porte-parole de l’éditeur Ubisoft. Entrer dans un Chicago des années 1920 plus vrai que nature, être pirate sur les bateaux d’époque… Il veut du super-réel.» Et ça tombe bien, la technologie permet de créer des mondes hyperréalistes. «Le jeu vidéo a toujours voulu copier le cinéma, mais grâce aux consoles qui sont de plus en plus performantes, les parties de demain ressembleront toujours davantage à la réalité», explique Olivier Mauco, consultant en jeux vidéo. Les budgets de développement n’ont d’ailleurs rien à envier aux grosses productions hollywoodiennes. Ainsi, le célèbre GTA V a coûté 260 millions de dollars, plus que le budget d’«Avatar». Et pour sa série Assassin’s Creed, le français Ubisoft a intégré dans ses équipes des historiens pour recréer les rues de Florence au XVe siècle ou le Paris de la Révolution.
Mais le jeu en vaut la chandelle : ce marché est en pleine expansion. Il pesait 60 milliards d’euros en 2012 et devrait dépasser les 75 milliards en 2015. Et si la pratique traditionnelle sur consoles représente encore plus de 50% des recettes, le secteur est surtout tiré par les jeux en ligne (17 milliards) et sur portable (6 milliards en 2013). Sur ces petits écrans, l’avenir est, à l’inverse, à la simplicité. Pour preuve, les succès des très addictifs FarmVille (Zynga), Candy Crush Saga (King Digital Entertainment) ou 2048. La recette : «Plus ils sont simples, plus ils touchent de monde», résume Charles Christory, fondateur d’Adictiz, l’éditeur français de Paf le Chien, qui a lui aussi connu un beau succès. «Le potentiel de ce marché est gigantesque : tous les possesseurs de tablette ou de smartphone, qui veulent passer le temps dans les transports, par exemple.» Fonctionnant sur le modèle «freemium» – ils sont gratuits mais les options sont payantes – ces jeux sont de véritables cash-machines. «Tout l’art est de pousser le joueur à acheter, en évitant qu’il ne se lasse. Du coup, les éditeurs s’entourent de plus en plus de statisticiens», explique Grégoire Mercier, cofondateur de Mob in Life, un concepteur français.
Au-delà du portable, c’est aussi la manière de jouer tout entière qui est en passe d’être repensée. Avec la Kinect, sa technologie de détection des mouvements, Microsoft permet déjà aux joueurs de jouer sans manette. Mais il y a plus bluffant encore : l’année dernière, l’Inria, un organisme public de recherche dédié au numérique, et ses partenaires (dont l’éditeur français Ubisoft) ont ainsi dévoilé des prototypes contrôlés par la pensée, via un casque spécial, OpenVibe 2. Les gamers suivent aussi de près l’évolution des Google Glass. «Appliquées au jeu vidéo, ces lunettes pourraient permettre de voir en surimpression des informations importantes comme le nombre de munitions, la barre de vie ou les cartes, et pourraient même contribuer à améliorer le réalisme des scènes, par exemple pour des explosions, avec des éclats qui s’afficheraient sur les verres», imagine Olivier Bal. De son côté, Microsoft serait sur le point de dévoiler ses propres lunettes, les Fortaleza Glass. Grâce au Wi-Fi, ce périphérique pourrait même utiliser les données du cloud pour faire débarquer des jeux dans votre salon grâce à la réalité augmentée.
Car après la musique et le livre, la dématérialisation est en passe de conquérir ce marché. «Le cloud gaming permet d’accéder à un catalogue en ligne et de jouer en streaming de n’importe quel écran connecté», explique Julien de Villedieu, délégué général du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV). Une tendance confirmée par l’intérêt que portent les constructeurs de téléviseurs à cette technologie et par le rachat par Sony de Gaikai, un des pionniers du «jeu dans le nuage», pour 380 millions de dollars en 2012. Et par la dernière version de la Xbox de Microsoft, qui, plus qu’une simple console, est une vraie box, donnant accès à des contenus. Microsoft a ainsi acheté une série télé signée Steven Spielberg, en exclusivité pour la Xbox. La console devient ainsi le véritable centre multimédia de la maison. Et, grâce à la reconnaissance faciale, elle saura s’adapter automatiquement à l’utilisateur : elle vous reconnaîtra et vous proposera des contenus adaptés à vos goûts, à votre âge et, pourquoi pas, à votre humeur.
L’hyper-réalisme :
Les dessins des jeux sont de plus en plus travaillés et ont un rendu désormais proche du cinéma. C’est le cas du dernier Battlefield 4 d’Electronic Arts (sorti en 2013) : l’éditeur a consacré 80% du budget au graphisme et au son, lui aussi réaliste.
Le jeu parla pensée :
Un casque mis au point à l’Inria permet de déplacer un curseur, vers la droite ou la gauche, par exemple. Ce procédé donne déjà la possibilité de jouer à des jeux, mais encore assez sommaires. Toutefois, les éditeurs observent cette technologie révolutionnaire de très près.
La réalité virtuelle :
Pour l’instant, l’Oculus Rift n’est qu’un prototype. Mais les premières démonstrations sont impressionnantes : projetés dans un grand huit virtuel, les cobayes équipés de ces sortes de grosses lunettes de ski souffrent réellement du vertige.
Sur mobile :
Sorti en 2012, Candy Crush Saga, casse-tête de bonbons, réunit près de 100 millions de joueurs par jour. Le marché du jeu sur mobile est si important que Facebook réalise désormais près de 15% de son chiffre d’affaires (soit 500 millions de dollars) dans ce secteur.
Léonor Lumineau