La vie de Bran (L’Humanité Dimanche, avril 2015)

Le « 115 du particulier » a nourri pendant quatre mois les jeunes migrants sans-abri du boulevard de la Villette, dans le XIXe arrondissement de Paris. Son fondateur, Bran du Senon, est un ex-blouson noir reconverti dans la défense des sans logis.

Depuis le 26 décembre dernier, tous les jours, sur les coups de 11h30, un camion se gare sur le terre-plein central du boulevard de la Villette, dans le XIXe arrondissement de Paris. Massif, la peau rougie par le froid, une épaisse moustache rousse barre le visage de celui qui descend lentement du véhicule : c’est Bran du Senon.

Avec « son équipe », Enzo et Fabrice, il décharge le camion des denrées qu’ils ont récupérées dans la matinée et installe le petit déjeuner. L’odeur du café et les biscuits attirent de jeunes migrants sans abris venus d’Afrique subsaharienne et d’Afghanistan, qui dorment à proximité du numéro 127. C’est là que se trouve la PAOMIE. L’institution évalue leur âge, et leur donne accès, s’ils sont considérés mineurs, à la protection de l’Etat. Ceux qui dorment dehors n’ont pas eu cette chance.

Drôle de zigue

Ecouteur bluetooth greffé à l’oreille, Bran règle des problèmes avec les autres associations, partis et syndicats membres du « collectif du 127 ». Bourru, solitaire, dur, il exaspère parfois les autres militants. « Mais vu le travail de titan qu’il abat, Bran est aussi incontrôlable qu’incontournable », concède l’un d’eux. Pourquoi un tel activisme ? La réponse se trouve dans l’histoire de ce drôle de zigue.

Bran est né de ce qu’on appelait encore, en 1962, une « fille-mère ». « J’ai grandi dans un bidonville. Puis ma mère s’est mariée avec un poulet, que je n’ai jamais voulu appeler papa ». Très vite, il est placé en foyer. « L’école du vol et du crime. Vous vous mettez à réfléchir en terme de résistance, plus que d’épanouissement », se souvient l’écorché.

Bécanes

Blouson noir, il porte la banane, swingue sur Eddy Cochran… et enchaîne les casses. « Délinquant, oui, mais toujours dans le respect de l’humain, jure-t-il. Avec ma bande, si on voyait un petit appart, on y touchait pas. Si c’était un château, on l’éclatait ». Avec l’argent, il réalise ses rêves. « Petit, mon grand père tombait en pâmoison devant l’Indian C12001. A 19 ans, c’était la mienne. Faut dire que cette bécane, c’était un vrai aspirateur à culottes ».

A force de récidives, il paye, et cher. Entre 21 et 28 ans, Bran est sous écrous. « Jusque là, j’avais eu du mal à combiner l’école et la marge. En prison, j’ai étudié la philo, la psycho, le droit… J’ai obtenu ma licence de lettres ». Ses études lui permettent de donner un sens à l’injustice, la solitude, l’exclusion. « J’ai compris pourquoi je n’avais pas de père, alors que les autres en avaient».

Caravane

Il garde contact avec ses « 40 frères » du club de moto qu’il a fondé. Sorti de prison, Bran retombe dans les milieux interlopes, ouvre un « garage informel ». « J’avais toujours un doigt dans la mécanique », relate-t-il, goguenard.

Mais à 39 ans, le loubard fait trois infarctus, coup sur coup. « J’avais toujours vécu dans le challenge, et je n’avais plus les forces pour en relever ». Atteint, il se retire sur le terrain appartenant à son club de moto, dans une caravane, à Villebéon. « Pendant dix ans, je me suis remis en question. Sur terre, j’étais locataire, pas propriétaire ».

Et puis ce fut l’hiver 2011-2012. « Il a fait moins quinze degrés, deux SDF mourraient tous les jour. J’étais sur la page Facebook des ‘anciens de la rue’, et, avec un autre membre, on a eu une idée ».

Revanche

En février, naît le « 115 du particulier », un site mettant en lien les SDF avec les 5000 hébergeurs qui proposent des lits. Bran y appelle également au don de caravanes et, dès mars, vingt véhicules se dressent sur le champ de Villebéon. Depuis lors, trois cent sans-abris y ont trouvé un répit. En échange, les hébergés sont encouragés à donner à leur tour, en servant des soupes populaires dans les cités voisines ou… aux jeunes du boulevard de la Villette. C’est la revanche de Bran sur la vie, qui se poursuit aujourd’hui.

La présence quotidienne du 115 du particulier a permis de nourrir les jeunes, mais surtout de les rendre plus visibles et de les organiser. Fin avril, après quatre mois d’agitation, 43 d’entre eux ont obtenu d’être hébergés ensemble dans deux foyers parisiens, le temps que le juge des enfants, qu’ils ont saisi, examinent leur situation.

« Ce n’est qu’une manche de gagnée », conclut Bran, qui ouvre un nouveau « chantier » : il veut désormais ouvrir une cantine solidaire dans le XXe arrondissement… « pour ceux qui restent ».

Elsa Sabado

Dates :

1962 : Naissance de Bran à Antony

1983-1990 : Incarcération pour vol et recel

Février 2012 : Création du 115 du particulier

Hiver 2015 : Intervention auprès des jeunes migrants du boulevard de la Villette

1Ancêtre de la Harley Davidson

Elsa Sabado a quitté le collectif pour voguer vers d’autres aventures. Retrouvez son travail chez Hors Cadre

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