Ferrandi: l’école où se ruent les futurs grands chefs (hors série Capital, juillet 2013)

On la surnomme le “Harvard de la gastronomie”. Viennoiseries craquantes, foie gras fondants, plats aux milles saveurs, les candidats se pressent des quatre coins de l’hexagone, mais aussi du monde, pour venir y apprendre la gastronomie française. Plongée dans les coulisses de l’école Ferrandi, fleuron des écoles de cuisine.

Etoilé Michelin à 25 ans, un an à peine après son arrivée comme premier cuisinier au Zoko Moko, à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), Rémy Escale Benedeyt a de quoi être fier. Sur son site Internet, ce prodige des fourneaux remercie les chefs avec qui il a travaillé. Mais aussi les professeurs qui l’ont formé, à l’école Ferrandi.

Voilà le genre d’histoire dont raffole Bruno de Monte, 47 ans, nommé en 2009 à la tête de cette école de gastronomie qui accueille chaque année 1 300 élèves, du CAP à bac + 5. Arpentant son vaste bureau dominant les cuisines, il a de quoi fanfaronner: parmi des dizaines d’autres toqués, Mathieu Viannay (deux étoiles à la Mère Brazier, à Lyon), Adeline Grattard (une étoile au Yam’Tcha, à Paris) ou Joël Césari (une étoile à La Chaumière, à Dole, dans le Jura) ont, eux aussi, fait leurs classes au 28, rue de l’Abbé-Grégoire, en plein VIe arrondissement parisien.

Une adresse où les candidats se bousculent.  «On en compte 30% de plus qu’il y a quatre ans, se ré- jouit cet ancien responsable ressources humaines du Executive MBA d’HEC. En 2012, ils étaient 8 pour 1 place en cuisine, 11 en pâtisserie.»

Et la réputation de l’école dépasse largement nos frontières : son programme anglophone accueille une centaine d’élèves, deux fois plus qu’en 2009. Une ruée qui n’a rien d’étonnant. Car la cuisine a complète- ment changé d’image. «Non seulement les émissions de télévision donnent une vision plus attrayante du métier, mais beaucoup y voient un bon créneau pour créer leur entreprise», analyse le directeur de Ferrandi. D’ailleurs, plus de 20% des diplômés du cycle supérieur lancent leur affaire en sortant. «Longtemps assimilée à un métier manuel peu valorisant, l’image du cuisinier est devenue glamour», relève Anna Lise Kvan, une jeune diplômée américaine du pro- gramme international.

Glamour,  vraiment ? Pour         s’en rendre compte, il suffit de passer une tête dans les ateliers du CAP pâtisserie pour adultes : 240 candidatures pour 48 places cette année. «Avant, la majorité de mes élèves étaient non diplômés, explique Alain Guillaumin, un des professeurs, entre deux conseils pour réussir les cigarettes russes. Aujourd’hui, ils sont cadres supérieurs, diplômés d’HEC ou d’une école d’ingénieurs, avec pour seul moteur la passion.» Comme Marion, 28 ans. «J’ai toujours aimé cuisiner, mais, comme j’étais bonne élève, on m’a orientée vers une grande école», se souvient, toque sur la tête, cette ancienne pro en génie biochimique qui ne rêve désormais        que  d’une        chose :     ouvrir un salon de thé aux Etats-Unis.

Bien sûr, Ferrandi n’est pas le seul établissement à profiter de cet engouement. Après un rapide tour de piste, il semble que par la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris-Ile-de-France, elle est toujours sous sa tutelle. «Ce qui lui permet de coller aux besoins des entreprises», assure André Daguin. En 2012, par exemple, une formation de barman a été ouverte à la demande des professionnels de l’hôtellerie de luxe.      Au     programme : snacking       haut    de gamme et cours de langue intensifs. Moyennant quoi 89% des diplômés Ferrandi décrochent un job six mois après leur sortie. Une performance qui n’a rien à envier à celles des meilleures business schools.

Autre avantage de cet étroit maillage avec les acteurs      du     secteur :    la formation en alternance, avec apprentissage en entreprise, est la règle pour 80% des élèves en ni- veau pré-bac. Ce qui leur assure une scolarité gratuite. En revanche, pour les cycles d’études post-bac, c’est plein pot : entre 7 200 euros et 7 500 euros l’année, 21 600 euros pour le programme bachelor sur trois ans. Les professionnels en formation continue aussi paient le prix fort : le module «pâtisseries et gourmandises à l’heure du thé», par exemple, coûte 1 450 euros    pour 35 heures         de cours. Dernière source de revenus pour boucler un       budget           annuel           de       18 mil- lions d’euros (dont 10% de subventions régionales et 20% de la CCI), l’école a inauguré des master class avec des stars des fourneaux. A la rentrée 2013, elles seront ouvertes aux amateurs. Comptez 750 euros pour 7 heures de démonstration de cuisine moléculaire par Thierry Marx, chef double étoilé Michelin au Mandarin oriental, à Paris, et jury de «Top chef» sur M6.

Car   voilà l’autre       force          de     Ferrandi : son réseau. Les plus grands cuisiniers du moment y sont régulièrement invités pour un cours ou un événement. «Ils viennent par plaisir car nous ne les rémunérons pas au niveau de ce qu’ils pourraient exiger, assure le directeur, Bruno de Monte. Parfois, seuls leurs frais de transport sont pris en charge.» En 2012, par exemple, Alexandre Couillon (La Marine, à Noirmoutier) a donné un cours pratique, William Ledeuil (Ze Kitchen Gallery, à Paris) a présenté son fournisseur d’agrumes et Philippe Etchebest (L’Hostellerie de Plaisance, à Saint-Emilion) a parrainé la remise des diplômes. Ces deux derniers figurent aussi au conseil d’orientation de l’école, dont le président n’est autre que… Joël Robuchon.

 Un solide carnet d’adresses que Ferrandi doit beaucoup à ses professeurs. Pour y enseigner, ceux-ci doivent totaliser au moins dix ans d’expérience professionnelle. Certains ont même gagné de prestigieux prix culinaires, et la plupart sont passés par de grandes mai- sons.        Résultat : outre         leur  haut niveau de compétences, ils connaissent beau- coup de monde dans le gotha des casseroles. Très utile pour dégoter aux élèves un apprentissage ou un stage dans des établissements prestigieux.

Enfin, dernier atout, Ferrandi sait faire parler d’elle. D’abord en louant ses locaux où elle accueille une cinquantaine d’événements par an, très souvent médiatisés : conférences de presse, démonstrations de produits, séminaires, tournages de films, etc. Maître cuisinier en charge de leur organisation, Christian Foucher a même été la «doublure mains» de Jean Reno dans le film «Comme un chef» (2012). Début février, c’était «Qui sera le prochain grand pâtissier ?», diffusé        cet été sur France 2, qui investissait les lieux.

Pour faire venir les plus grands noms, une trentaine de concours culinaires, dont les prestigieux Un des Meilleurs Ouvriers de France et prix Taittinger, y sont aussi organisés chaque année. «Ils sont tellement forts en communication qu’aux journées portes ouvertes tu t’attends à un décor clinquant, plaisante une jeune élève. Mais ça reste une école de cuisine: il y a des casseroles sales et ça sent la cantine.» Une réalité du métier que les professeurs ne manquent jamais de rappeler à leurs apprentis :   même diplômés      de         Ferrandi, leur quotidien restera synonyme d’horaires à rallonge, de rigueur militaire et de salaires de départ plutôt maigrelets.

Léonor Lumineau 

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