Ces carrières résument à elles seules l’histoire de l’Italie – de la Rome antique à l’architecture mussolinienne en passant par les statues du Vatican. Aujourd’hui utilisé dans les pâtes à dentifrice ou pour revêtir les salles de bains du Golfe, le marbre de Carrare raconte désormais une tout autre histoire. Ou comment la société globalisée et la consommation de masse conduisent à un désastre écologique et économique.
C’est une montagne magique. Un géant de pierre, dont les membres s’étendent là, comme sur un crucifix. Cloué entre la chaîne des Apennins et la Méditerranée, au nord-ouest de la Toscane, juste avant qu’elle ne croise la Ligurie. Il se fait appeler Alpes apuanes, culmine à 2 000 mètres d’altitude, porte d’augustes cheveux d’argent.
Drapé d’éternité, ce dieu inerte veille sur les villes de Carrare et de Massa, en contrebas ; deux cent mille mortels à ses pieds. Toute la vallée est rivée à l’or blanc qui coule de ses veines – ce marbre d’une finesse extraordinaire, dont la couleur est aussi lunaire que le prix.
Loué déjà par Pline l’Ancien
En a-t-il jamais été autrement ? Les Anciens, déjà, vénéraient cette divinité minérale. Des carrières qui balafrent ses flancs, ils disaient qu’elles cicatrisent toutes seules. « Ceux qui les exploitent affirment que ces plaies des montagnes se comblent spontanément », prétendait Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle. C’était il y a deux millénaires, quelques années après la naissance de Jésus-Christ ; c’était hier.
Aujourd’hui, contre quelques euros, les touristes visitent dévotement les carrières abandonnées, reconverties en musées à ciel ouvert. Plus sûres et moins bruyantes que celles, non loin, encore en activité. Plus propices à la rêverie, aussi. Où que l’on plonge son regard, l’épopée d’un pays entier, l’Italie, s’offre à l’imagination, servie sur un plateau marmoréen. Nul besoin de guide ni de pelle ; il suffit de creuser avec les yeux.
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